#173 : « A francisata troppu hè durata… »

Printemps 2025 : pendant que la Corse continue de s’enfoncer dans un climat de plus en plus délétère où se multiplient provocations et exactions en tout genre, une police politique qui pratique le home jacking et le rapt continue, quant à elle, sa sinistre besogne: portes défoncées au petit matin, intrusions violentes et gratuites dans des demeures paisibles, enfants traumatisés, militants embarqués dans des conditions volontairement choquantes et dégradantes de privation sensorielle contraires au droit international, déportations. Comme si une action concertée de toutes les forces anti nationales se déroulait sous nos yeux sans que personne ne soit capable d’en faire l’analyse et de proposer une alternative aujourd’hui vitale. Pourtant, les interventions entendues récemment lors du soutien massif apporté à un agriculteur - dont l’engagement au service de son pays et d’une activité essentielle pour notre avenir ont été unanimement salués - semblent apporter un début de réponse. Une réponse qui ne peut être que collective, puisant dans ce que nous avons de meilleur en nous, en tant que peuple : laisser nos choix dictés par la peur et la soumission à une tutelle étrangère que l’on présumerait assez bienveillante pour résoudre nos problèmes à notre place est une illusion plus que dangereuse, mortelle. En réalité, le seul processus actuellement en cours au plus haut niveau de l’Etat français est, comme toujours, un processus de liquidation de la lutte nationale historique du peuple corse. En atteste une répression politique qui se veut de plus en plus intimidante par la disproportion des moyens employés, sa violence gratuite, l’arbitraire de ses interventions, ses démarches de criminalisation sournoise sur fond de désinformation permanente, et son caractère systématique lorsqu’il s’agit de neutraliser le courant politique qui ne renoncera pourtant jamais à défendre une certaine idée de la Corse, nation indépendante, souveraine, et enfin en paix. Aujourd’hui, devant la volonté affichée de soumettre notre peuple et, en particulier, d’empêcher l’émergence d’une nouvelle génération de Corses dignes de ce nom, prêts à s’engager pour notre bien commun, une conclusion autant qu’une prise de conscience s’imposent: il n’y aura aucun avenir pour ce pays si nous acceptons l’augure d’un destin aussi français que funeste, et que nous renonçons à accomplir notre propre destin national. Il ne se passe plus un jour sans que nous ne constations des dérives sociétales qui nous éloignent de ce que nous sommes, de ce que nous avons la potentialité d’être collectivement, de l’avenir radieux que pourrait connaître les générations futures. Pourtant nous aurions des atouts considérables, tant sur le plan culturel qu’environnemental, avec des opportunités économiques qui profiteraient au plus grand nombre à condition de changer de logiciel et d’encourager par des politiques cohérentes les initiatives plus nombreuses qu’on ne le pense qui vont dans le bon sens. Ce n’est pas un hasard si depuis des décennies nous portons des propositions qui permettraient de nous mettre sur la voie vertueuse d’un développement économique social et culturel répondant aux besoins réels de notre peuple. Mais il faudra, pour pouvoir les mettre en œuvre, passer outre les « lignes rouges » - voire bleu blanc rouge - qui nous ont ravalé au rang de « communauté » en concurrence avec d’autres communautés sur un prétendu territoire de la République française. Alors que nous sommes le peuple de ce pays et qu’à ce titre nous devrions jouir, ni plus ni moins, des droits imprescriptibles qu’ont tous les autres peuples de la planète.

Nouvelle-Calédonie : la rédemption de Manuel Valls ?

Depuis toujours, Manuel Valls fait partie des responsables parisiens qui ont été les plus détestés par les nationalistes corses, mais également par tous ceux qui, au sein des peuples maintenus sous tutelle parisienne, aspiraient à autre chose qu’à un destin français. On se souvient de son hostilité permanente à nos revendications lorsqu’il occupa les postes de ministre de l’intérieur, puis de Premier ministre de la France. Lui qui avait voulu devenir français, avant d’accéder aux plus hautes fonctions dans l’hexagone, ne semblait pas pouvoir comprendre que certains, disposant depuis leur naissance de cette nationalité, veuillent s’en défaire. On n’a pas oublié sa déclaration, il y a quelques années, au moment où nous accédions au pouvoir à la Collectivité territoriale : « Certains parlent d’une nation corse. Mais je ne sais pas trop ce que cela veut dire ». Cette attitude agressive contrastait alors avec celle de son ancien mentor en politique, Michel Rocard, lequel affichait ouvertement sa sympathie à notre égard. On a également raillé le nomadisme politique de Manuel Valls qui, après une longue carrière en France n’avait pas hésité à se présenter aux élections de… Barcelone, ville dont il était originaire. Bien entendu, pour s’opposer aux indépendantistes catalans ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que le succès ne fut pas au rendez-vous, ce qui le conduisit à se réintroduire dans la vie politique française qu’il avait quelques temps auparavant annoncé vouloir abandonner. Et le voilà bientôt à nouveau ministre français, par la grâce d’Emmanuel Macron (qu’il avait pourtant traité de « méchant », n’ayant « pas de codes, pas de limites »1). Nous le retrouvons donc ministre, et ministre… des Outre-mer ! Beaucoup craignaient le pire. Pourtant, avec ce genre de parcours, le pire n’est jamais sûr (pas plus que le meilleur, hélas). Tout est possible, à tout moment. J’en avais eu le vague sentiment lorsque nous étions en fonction et que nous l’avions reçu durant deux jours en Corse en sa qualité de Premier ministre. Il m’avait bien semblé que, par-delà la bienséance et la courtoisie protocolaire, son attitude de bouderie hostile à notre égard était curieusement intermittente. Comme ses coups de menton, il la réservait aux interviews destinées aux médias parisiens. En fait, cette attitude – du genre « Vous voyez : je suis ici mais je ne leur concèderai rien ! » – était réservée à l’électorat français réputé anti-corse. Dès que les caméras s’éclipsaient, il redevenait urbain et même plutôt affable. Ce comportement ne rappelait en rien celui de Jean-Pierre Chevènement pendant le « processus de Matignon », lequel, avec une belle constance, nous fusillait du regard, Paul Quastana et moi-même, durant toutes les réunions. Sa haine à lui était sincère. Alors que celle de Manuel Valls avait manifestement un caractère artificiel. C’était un rôle qu’il jouait. Ces quelques éléments de psychologie – un peu sommaire, sans doute – peuvent aider à comprendre le revirement spectaculaire de ces dernières semaines : le ministre des Outre-mer a formulé des propositions qui constituent un réel progrès dans les discussions sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Même si la solution politique semble encore loin, les indépendantistes ont salué l’avancée de la part de Paris. Notre ami Roch Wamytan résume ainsi leur sentiment : « Ce projet Valls matchait bien avec notre ambition »2. Les anti-indépendantistes se sont en revanche violemment opposés au plan proposé, estimant qu’il revient à ouvrir la voie à l’indépendance et à « remettre en cause l’intégrité nationale »3, à l’instar de Sonia Backès, une responsable loyaliste singulièrement virulente qu’Emmanuel Macron avait naguère jugé bon d’intégrer au gouvernement Borne, rompant ainsi avec la notion de neutralité de l’État qui constituait le cœur même du processus de paix rocardien. Celle-ci demande sans ambages que la conduite des discussions soit désormais confiée à « un autre ministre »4. De son côté, Manuel Valls assure garder la main sur le processus. À travers une opinion publiée le 1er juin 2025 dans La Tribune, il s’inscrit résolument dans l’esprit de la démarche initiée en 1988, fait litière des accusations de manipulations prétendument à l’origine des événements de l’an dernier et pose le problème de façon raisonnable : « Il y a 36 ans, la République choisissait en Nouvelle-Calédonie, avec les accords de Matignon puis de Nouméa, la voie du dialogue, de la reconnaissance mutuelle et du refus de la violence. Ce choix n'était pas un miracle, mais un acte politique de courage et de responsabilité. Il reste aujourd'hui notre boussole. Certains responsables politiques hexagonaux semblent l'avoir oublié. Leurs discours, enflammés et anachroniques, résonnent étrangement comme ceux de la droite des années 1980. À l'image de Charles Pasqua ou de Bernard Pons, ils estiment que “la défense de Bastia commence à Nouméa”. Ce type de rhétorique a déjà conduit au drame - celui d'Ouvéa. Ils refusent de poser un regard lucide sur l'histoire, et en particulier sur ce que signifie, en Nouvelle-Calédonie, un processus de décolonisation »5. Une telle prise de position, de la part d’un membre du gouvernement français, est déjà en soi un événement notable. Venant de Manuel Valls, réputé peu ouvert sur ce genre de sujets – y compris en Catalogne ! –, elle semble plus étonnante encore. Pourtant, à y regarder de près, l’homme est davantage un « pragmatique » – pour dire les choses de façon neutre – qu’un idéologue. On reviendra sans doute, pour expliquer ce revirement, sur son rocardisme de jeunesse qui paraissait pourtant profondément enfoui sous le poids des ans et des « évolutions » conjoncturelles. Ne pouvant sonder les reins et les cœurs, nous ne saurions a priori écarter aucune hypothèse, pas même celle de la sincérité. Après tout, chacun devrait avoir droit à sa rédemption. Jean-Guy Talamoni 1 Public Sénat, publicsenat.fr, 14.V.2017. 2 Ouest-France, ouest-france.fr, 8.V.2025. 3 Le Monde, lemonde.fr, 27.V.2025. 4 Ouest-France, ouest-france.fr, 8.V.2025. 5 « Il est encore temps de tenir la promesse calédonienne », La Tribune Dimanche, latribune.fr, 1.V.2025.
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