“Stratégie pour un destin corse” da Jean-Guy Talamoni

Non, le destin de la Corse n’est pas français, comme l’affirmait curieusement le président de l’exécutif il y a quelques jours. Non, on n’a pas le droit de renvoyer dos à dos – il l’avait fait deux semaines plus tôt – le crime organisé qui sévit dans notre pays et ceux qui ont tout sacrifié pour défendre ce même pays. Non, déférer aux injonctions de l’adversaire et aller toujours plus loin dans le reniement ne constitue pas une stratégie valide. Ni digne, au demeurant. Car c’est bien de stratégie qu’il s’agit. Le problème n’est jamais une question d’homme. Les hommes peuvent changer. En mal – ici, quelques exemples peuvent venir à l’esprit –, mais parfois aussi en bien. Comme avocats, nous avons l’habitude de le rappeler : ne jamais réduire un homme à certains de ses actes, fussent-ils singulièrement graves. À un problème politique persistant, la bonne réponse ne peut-être de désigner un bouc émissaire. Un tel problème appelle une stratégie adaptée. Celle mise en œuvre depuis 2021 par le Cours Grandval à l’égard de Paris (connivences – courbettes – compromissions) a largement montré sa nocivité pour le mouvement national (déloyauté – déstabilisation – division). Dès l’origine, ces lourds inconvénients ne sont pas passés inaperçus. Pour toute réponse à ces inquiétudes, on a alors entendu une petite musique, celle de la prétendue realpolitik : « Capisci, il faut être malin, on va obtenir l’autonomie… ». Malheureusement, même si l’on fait abstraction des questions d’éthique – ce qui n’est jamais bon –, force est de constater que cette « stratégie » n’en est pas une. Elle ressemble plutôt, au mieux, à de la rouerie de cantine. Il suffit d’avoir lu quelques livres d’histoire pour savoir que la France n’a jamais concédé la moindre avancée à un peuple soumis à sa tutelle sans y être contraint par un rapport de force. Jamais. Ainsi, en Corse, après avoir conduit ses interlocuteurs à des compromissions difficiles à assumer, Paris les a subitement abandonnés, désormais sourd à leurs appels incessants et larmoyants au « dialogue ». En politique, si l’on peut négocier avec des adversaires, on ne le fait généralement pas avec ceux qui ont accepté d’être des subordonnés. C’est dans cette situation d’indifférence et de mépris parisiens qu’est intervenu l’assassinat d’Yvan Colonna, suivi de la révolte de notre jeunesse. Débarquait alors en urgence Gérald Darmanin, le mot d’autonomie à la bouche, cherchant avant tout à rétablir le calme en cette période préélectorale. Le semblant de processus qui s’est déroulé depuis lors a donc pour cause exclusive la détermination des jeunes Corses. Dès que les élus reprirent la main, ils acceptèrent d’écarter des discussions les sujets les plus essentiels, à travers les « lignes rouges » mentionnées dans le protocole Darmanin-Simeoni. Plus que d’une erreur, il s’agissait d’une nouvelle faute, laquelle ne pouvait déboucher, un an et demi plus tard, que sur l’ouverture en trompe l’œil opérée par le discours d’Emmanuel Macron devant l’Assemblée de Corse : une rhétorique avenante cachait le vide sidéral du fond politique. Comme devait le constater l’éditorialiste Jean-François Achilli sur France Info : « Une déclaration forte dans les mots, mais pas dans les contenus ». Pas de reconnaissance des droits du peuple corse, pas de corsisation des emplois, pas de statut de coofficialité pour sauver notre langue, pas de statut de résident pour interrompre le processus de dépossession… Voilà donc où nous en sommes. La « stratégie » à l’œuvre mène tout droit à l’échec et il faut en changer. Comment transformer le bavardage institutionnel actuel en négociation porteuse d’avancées ? Pour notre part, nous n’avons cessé, depuis 2015, de préconiser la mise en place d’un rapport de force, serein et déterminé. Nous avons collectivement les moyens d’une véritable mobilisation populaire à travers nos forces vives, politiques, syndicales, associatives… L’appel de Patriotti pour la réunion du 15 octobre à Corti peut en être l’occasion et c’est dans cet esprit nous y participerons. L’objectif doit être de convaincre l’ensemble des nationaux que seul paye le courage politique. Quant à ceux qui rédigent actuellement la chronique d’un échec annoncé, offrons leur – par-delà leurs erreurs – la possibilité d’apporter une contribution aux nouvelles pages que nous voulons écrire. De nouvelles pages qui mériteront enfin, sans grandiloquence ridicule, le qualificatif « historique ». Jean-Guy Talamoni

“Redresser la barre” da J.G Talamoni

Lorsque l’on se remet en mémoire l’enthousiasme et l’attente populaire – parfois démesurée – qui avaient accompagné en 2015 et 2017 l’arrivée des nationalistes au pouvoir et que l’on considère le caractère tristement atone de la situation politique actuelle, on ne peut que mesurer l’étendue du gâchis. “ Mais les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas moins déterminés que les jeunes d’hier. Ils en ont d’ailleurs administré la preuve lors des manifestations de l’an dernier. “ Comme dans toute catastrophe autre que naturelle, il y a évidemment des responsables. Mais est-il bien utile de concentrer notre réflexion sur les turpitudes de ces derniers ? Si le ressentiment avait quelque vertu en politique, cela se saurait. La politique du bouc émissaire, même lorsque ce dernier a eu une attitude peu reluisante, ne permet aucunement de défendre une communauté contre ses adversaires extérieurs, ceux qui nient purement et simplement son droit à l’existence. Il nous faut donc consacrer nos efforts à l’œuvre de reconstruction nationale entamée dans les années 1970. Tout n’est pas à refaire, n’en déplaise aux tenants du « c’était mieux avant », à ceux qui se complaisent dans l’illusion d’un passé fantasmé. Non, on ne peut dire comme on l’entend parfois : « L’ultimi Corsi sò morti in Ponte Novu ! ». Ni même que les nationalistes des années 70 étaient plus valeureux que ceux d’aujourd’hui. Ce genre de propos n’est dû qu’à l’illusion qui fait passer le souvenir de sa propre jeunesse pour un âge d’or collectif. Beaucoup de ceux qui luttaient jadis contre les CRS combattent aujourd’hui les rhumatismes, ce qui est – on peut en convenir – moins exaltant. D’où leur appréciation négative de l’évolution des choses… Mais les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas moins déterminés que les jeunes d’hier. Ils en ont d’ailleurs administré la preuve lors des manifestations de l’an dernier. Ils ne sont pas moins bien formés politiquement que ne l’étaient leurs parents. En témoigne la qualité des débats de l’Assemblea di a Giuventù et des organisations de jeunes, étudiantes ou autre. Cette jeunesse est montée en première ligne pour recueillir et protéger les pénates de la patrie corse, quand d’autres les avaient laissés tomber à terre. C’est elle qui a donné le signal du nécessaire sursaut général. À l’ensemble des forces vives, à présent, de redresser la barre. Disceta ti, cara nazione ! Jean-Guy Talamoni

Le projet de statut de résident prêt depuis 9 ans !

En avril 2014, afin de lutter contre la flambée des prix de l’immobilier, l’Assemblée de Corse adoptait par un vote solennel un projet de statut de résident. Durant des lustres, un tel dispositif avait été défendu par les indépendantistes de Corsica Nazione, puis de Corsica Libera. Au début des années 2010, sous la mandature de Paul Giacobbi et Dominique Bucchini, compte tenu du caractère déjà alarmant de la situation, des « Assises du foncier » étaient organisées. Au cours de l’une des nombreuses réunions de travail à l’occasion desquelles la plupart des intervenants semblaient s’en remettre à un droit de l’urbanisme malheureusement inefficace en la matière, le premier élu à rejoindre Corsica Libera sur la proposition du statut de résident fut Jean-Baptiste Luccioni, maire de Pietrosella, commune fortement exposée à la menace de dépossession foncière et de spéculation immobilière. Il expliqua simplement que l’application, même énergique, du droit de l’urbanisme, ne lui permettait pas en sa qualité de maire d’empêcher un acquéreur extérieur disposant de plusieurs millions d’euros d’acheter un bien sur le littoral de la commune, aggravant une situation déjà plus que préoccupante. Partant de son expérience personnelle, il se rendait à l’évidence : seul un statut de résident pourrait enrayer la mécanique dévastatrice en cours de développement. Les travaux des Assises se poursuivirent sans autre ralliement à la proposition de Corsica Libera. Toutefois, lors de la conférence de presse de clôture des travaux, Paul Giacobbi, Président du Conseil exécutif, faisait sensation en se prononçant officiellement pour le statut de résident ! Il exposa posément l’évolution de sa réflexion sur le sujet, reconnaissant les doutes qui avaient été les siens devant une démarche pouvant sembler radicale. Pourtant expliqua-t-il, il avait fini par se rendre à l’évidence : seule une réforme de cette nature permettrait d’interrompre la dépossession en cours. L’annonce fit l’effet d’une déflagration comparable à celles qui s’étaient révélées, depuis des décennies et au prix de multiples sacrifices, bien plus efficaces que le droit français de l’urbanisme, dont on sait ce qu’il n’a pas empêché de faire sur le littoral du sud de l’hexagone… Peu après la déclaration de Paul Giacobbi, ne voulant pas être en reste, les autonomistes de Femu a Corsica rejoignaient également la position de Corsica Libera. Compte tenu des relations exécrables que les élus de Femu entretenaient avec Paul Giacobbi, accusé de les avoir éconduits au moment du fameux « conclave de Venacu », le projet de statut de résident fut élaboré à travers une discussion directe entre Corsica Libera et Paul Giacobbi (comme du reste le projet de coofficialité de la langue corse, la demande d’amnistie des militants nationalistes et quelques autres rapports essentiels). Initialement, Corsica Libera plaidait pour dix ans de résidence, ce qui paraissait excessif à Paul Giacobbi. L’accord se fit finalement sur une durée de cinq ans. Demeurait le problème de la diaspora qui, par définition, ne pouvait se prévaloir de cette durée de résidence. Corsica Libera proposa alors d’avoir recours à un dispositif qui, pour être peu connu, n’en était pas moins présent en droit français : le « Centre des intérêts matériels et moraux » (CIMM), utilisé pour l’outre-mer et permettant notamment aux originaires travaillant en métropole de faire valoir leurs droits aux congés bonifiés. Les critères pris en compte pour prouver le lien au territoire, multiples, ne sont pas nécessairement cumulatifs : lieu de naissance, lieu de naissance des ascendants, lieu de sépulture des ascendants, lieu où l’on a effectué sa scolarité obligatoire, etc. Après validation par le cabinet d’expertise juridique mandaté par le Conseil exécutif, la proposition de Corsica Libera fut jointe au projet global, lequel devait être adopté par une majorité de 29 voix sur les 51 élus que comptait l’Assemblée de Corse à l’époque. Aujourd’hui, ce projet n’a pas pris une ride. Il demeure plus que jamais d’actualité au regard de l’accélération du phénomène de dépossession à l’œuvre. Voté il y a presque une décennie par les représentants élus de la Corse, il a vocation à demeurer la base incontournable des discussions avec Paris au sujet de la question foncière. Jean-Guy Talamoni

Jean-Guy Talamoni : U ritornu di e ghjurnate internaziunale

E Ghjurnate sont de retour ! Cette manifestation est bien davantage qu’un rendez-vous estival : elle constitue le témoignage d’un presque demi-siècle de lutte du peuple corse. Au début de l’aventure, ceux qui représentaient légitimement ce peuple étaient arithmétiquement minoritaires. En fait, ils avaient été une poignée à ramasser à terre les pénates de la patrie. Durant les années soixante, la prise de conscience avait concerné quelques groupes de militants se cherchant confusément une stratégie, entre régionalisme et revendications corporatistes. Au cours des années 1970 en revanche, eut lieu ce que l’on a pu appeler le « miracle » du Riacquistu. « Miracle », le mot était bien choisi, car enfin, qui aurait pu prévoir ce sursaut d’un peuple dont la grande majorité des membres ignoraient l’idée nationale, pensaient que leur langue se réduisait à un « patois » et estimaient que l’objectif le plus raisonnable était de devenir « des Français à part entière » ? Comme en d’autres points du monde, la puissance dominante avait savamment instillé le venin de la « haine de soi » (Albert Memmi)… Si Aleria fut en 1975 un moment fort dans la prise de conscience, c’est bien la création du FLNC l’année suivante qui donna à la nation de réelles chances de renaître, à travers la mise en œuvre de la stratégie de Lutte de Libération Nationale. Ceux qui ont connu cette période ont pu voir l’évolution de l’image, dans l’esprit des Corses, de ceux que l’on n’appelait pas encore « les natios ». Largement considérés jusque-là comme des exaltés ou des produits folkloriques de « soixante-huit », ils ne suscitaient de la part des clanistes alors tout puissants que des réactions goguenardes, surtout au moment du dépouillement, lorsqu’ils se hasardaient à se présenter aux élections : « Ùn ritrovi mancu i toi ! ». La création du FLNC eut pour conséquence immédiate le changement du regard porté par les Corses sur cette jeunesse qu’il fallait bien prendre, désormais, au sérieux. Dans les années qui suivirent, e Ghjurnate furent le miroir fidèle des combats, des solidarités internationales, des sacrifices, des erreurs et des avancées d’une lutte qui a – quoi que certains en disent – sauvé la nation corse d’une disparition certaine. C’est cette histoire-là que racontent e ghjurnate. C’est cette histoire-là qu’elles continuent à écrire, loin des dérisoires politicailleries qui avilissent la vie publique. L’histoire d’une fidélité aussi inexpugnable que les murs de la citadelle de Corti. Jean-Guy Talamoni

#147 – Jean-Guy Talamoni : Affaire de manipulation

On a beaucoup critiqué, ces derniers temps, les débats organisés quotidiennement sur les chaînes d’information continue. Et il est vrai que, bien souvent, la tranquille arrogance de nos toutologues patentés a quelque chose d’agaçant qui nous pousse irrépressiblement à changer de chaîne. Tout particulièrement lorsqu’ils dissertent doctement sur un sujet que nous connaissons quelque peu – comme la situation de la Corse –, et qui nous permet de mesurer instantanément l’étendue de leur ignorance. Pourtant, il peut nous arriver d’être agréablement surpris. Ainsi, il y a quelques jours sur CNews, Alain Bauer (professeur au CNAM et spécialiste des questions de sécurité) était invité à parler de la Corse et à commenter cette assertion répétée ad nauseam depuis des semaines : la jeunesse corse est manipulée. Contre toute attente, il devait affirmer clairement, fort de son expertise et des renseignements à sa disposition, qu’en fait les jeunes corses n’obéissaient qu’à eux-mêmes lorsqu’ils se soulevaient dans les rues de Bastia ou d’Ajaccio. Non, ils n’étaient manipulés ni contrôlés par personne… Ah bon ? On imagine la perplexité générale provoquée par ces mots venant contredire ce qui était jusqu’alors universellement considéré comme une évidence. “ Quoi que l’on puisse en penser et quelles que soient les craintes que suscite la situation présente, force est de constater que ce sont bien les jeunes qui l’ont créée et qui ont contraint l’Etat français à cesser d’ignorer la Corse et le suffrage universel. “ Ce qu’il y a de plus consternant, c’est que les chroniqueurs parisiens du dimanche ne sont pas les seuls à adhérer à ce genre de discours ineptes. En Corse même, d’aucuns croient voir dans l’action de la jeunesse la main invisible de mystérieux manipulateurs. Comme quoi, le complotisme est parfois du côté de la plus pure expression du politiquement correct. Pour penser cela, il faut ne pas avoir soi-même été jeune (« esse natu vechju »), ou bien avoir vécu une jeunesse de légume manipulable, que le père conduisait à l’isoloir pour donner sa voix, en toute docilité, à un chef de parti désigné au titre de l’autorité parentale. Personnellement, j’en connais quelques-uns de ma génération qui furent dans ce cas. Certains sont même aujourd’hui devenus autonomistes : le clan et le clientélisme mènent à tout, à condition bien sûr d’en sortir, quitte à y retourner sous une autre forme… Toujours est-il qu’au moment où la situation corse semblait tout à fait bloquée, le sursaut est venu de notre jeunesse, et celle-ci en a choisi la voie en toute souveraineté. D’ailleurs, aucun courant, qu’il soit autonomiste ou indépendantiste, ne préconisait les batailles de rues, les premiers ayant opté pour une attitude de conciliation – pour ne pas dire davantage –, les seconds en appelant à la désobéissance civile et à la mobilisation populaire. Quoi que l’on puisse en penser et quelles que soient les craintes que suscite la situation présente, force est de constater que ce sont bien les jeunes qui l’ont créée et qui ont contraint l’Etat français à cesser d’ignorer la Corse et le suffrage universel. À présent, il appartient aux élus, aux mouvements politiques et aux syndicats de prendre leurs responsabilités, non pas à la place des jeunes corses mais auprès d’eux, pour imposer enfin à Paris la mise en œuvre d’une solution politique. Tenter de faire croire que le salut pourrait venir de la bienveillance hexagonale ou des appels répétés et larmoyants au dialogue relèverait, pour le coup, d’une tentative de… manipulation. Jean-Guy Talamoni

#146 – Jean-Guy Talamoni : “Statu Francese…”

Au moment où ces lignes sont écrites, un militant de la cause corse lutte contre la mort et des dizaines de milliers de compatriotes le soutiennent, au-delà même de ceux qui ont manifesté ces derniers jours. Le moment que nous vivons est grave et nos pensées vont d’abord à Yvan Colonna et aux siens. Un cri, un vieux slogan venu du fond des luttes corses a émergé au cœur d’une actualité dramatique : « Statu francese assassinu ! ». Le nouveau préfet a jugé bon de le contredire dans les colonnes de Corse-Matin : « l’Etat français n’est pas assassin », a-t-il déclaré. Il est dans son rôle en disant cela. Dans le rôle qui lui est assigné au titre de ses fonctions et qui consiste, dans certains cas, à nier l’évidence. Je ne reprendrai pas ici la litanie d’ignominies dont l’Etat français s’est rendu coupable dans son histoire. Il lui est même arrivé de les reconnaître, par la voix de ses plus hauts représentants. “ Les dirigeants français, de Choiseul à Macron, ne prennent en compte que les rapports de force. Leur longue expérience de la colonisation leur a appris à repérer les maillons faibles. Les mouvements et personnalités dont ils savent n’avoir rien à craindre ne reçoivent jamais que leur mépris, parfois agrémenté de fausses amabilités. “ Faudrait-il exiger une nouvelle repentance de sa part, s’agissant cette fois de la Corse ? Je ne suis pas certain que ce soit une priorité. Qu’il s’abstienne de faire obstacle une nouvelle fois à la vérité et à la justice, ce serait déjà appréciable. Pour un Etat, être assassin et menteur ne constitue pas, du reste, une originalité : « L’Etat est le plus froid des monstres froids », nous dit Nietzsche, ajoutant « Il ment froidement ; et voici le mensonge qui s’échappe de sa bouche : “Moi l’Etat, je suis le peuple.” » L’auteur nous rappelle ici une autre évidence : l’Etat n’est pas le peuple. L’Etat français n’est pas le peuple français. Il faut se souvenir de cela en toutes circonstances, sous peine de verser à notre tour dans l’injustice. De nombreux Français ont soutenu les militants corses et singulièrement Yvan Colonna. Les noms figurant sur son comité de soutien en témoignent. Il n’en demeure pas moins que les « élites » qui dirigent la France depuis des siècles paraissent inamendables et sorties du même moule, à l’exception de rares personnalités comme Victor Schœlcher, Pierre Mendès France et quelques autres… Ce que nous enseigne l’histoire, c’est que les dirigeants français, de Choiseul à Macron, ne prennent en compte que les rapports de force. Leur longue expérience de la colonisation leur a appris à repérer les maillons faibles. Les mouvements et personnalités dont ils savent n’avoir rien à craindre ne reçoivent jamais que leur mépris, parfois agrémenté de fausses amabilités. Au sein de tous les peuples aujourd’hui libres, ce sont ceux qui firent preuve de détermination qui écrivirent l’histoire. Jean-Guy Talamoni

#145 – Jean-Guy Talamoni : Alchimie à rebours

Une chose est de revendiquer un statut d’autonomie à titre d’avancée institutionnelle transitoire, une autre est de faire de l’autonomie l’alpha et l’oméga de la lutte, le Saint Graal d’un engagement national de plusieurs décennies. Une chose est de considérer l’autonomie comme un objectif intermédiaire, ce qui avait été acté en 2017, une autre est de se définir soi-même comme fondamentalement autonomiste, et ce dans l’idée de « montrer patte blanche » à l’adversaire. Dans le second cas, on renonce explicitement à ses droits nationaux pour complaire à ceux que l’on était supposé contraindre à reculer, à cesser d‘exercer une domination injuste. Se définir soi-même comme autonomiste, c’est renoncer à l’idée de nation. “ Une chose est de considérer l’autonomie comme un objectif intermédiaire, ce qui avait été acté en 2017, une autre est de se définir soi-même comme fondamentalement autonomiste, et ce dans l’idée de « montrer patte blanche » à l’adversaire. “ Aujourd’hui du reste, les élus dits traditionnels sont devenus, pour la plupart, autonomistes et favorables à l’épanouissement identitaire de la Corse. Cela est le résultat de la victoire indiscutable remportée par le mouvement national s’agissant de la bataille culturelle. En quoi dès lors la majorité aux affaires se distingue-t-elle des élus d’opposition ? Ce qu’il y a de difficilement compréhensible, c’est que le loyalisme français a contaminé le Conseil exécutif de Corse alors même que ceux qui défendaient cette idée étaient minoritaires dans l’hémicycle depuis 2015 ! Tout cela, nous dit-on sotto-voce, serait tactique. Tout comme le reniement des engagements et des accords passés naguère avec les « incommodants » indépendantistes, qui ne l’étaient d’ailleurs pas tellement en 2015, lorsqu’ils permirent de s’emparer du pouvoir territorial… Mais comment voulez-vous être pris au sérieux par Paris avec de telles attitudes ? Comment l’adversaire pourrait-il avoir la moindre considération pour un prétendu patriotisme qui soutient l’indépendance des Catalans et des Ecossais et accepte la domination pérenne de son propre peuple ? Lorsque Valérie Pécresse vient dans notre pays affirmer que « la Corse c’est la France », elle ne trouve évidemment pas de contradicteurs sur les bancs de l’actuelle majorité. Ses membres, finalement, ne disent pas autre chose que la candidate à la présidence française, puisqu’ils assurent n’être qu’« autonomistes »… On pourrait d’ailleurs revenir, sans faire offense au bon sens ou à la logique politique, au qualificatif « régionaliste », voire à celui de « cyrnéiste » comme on disait dans l’entre-deux-guerres. Déjà, à l’époque, on parlait beaucoup d’autonomie de la Corse. Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est le résultat d’une sorte d’alchimie à l’envers. Celle qui a consisté à transformer de l’or en plomb, à savoir une majorité clairement nationaliste en une majorité régionaliste. Pour rester dans l’euphémisme, nous dirons que les apprentis sorciers qui s’y sont livrés n’ont pas mérité de la nation. Mais était-ce seulement leur objectif ? Il y a malheureusement tout lieu d’en douter. Pour autant, le simple fait qu’une majorité nationaliste ait pu exister quelques années – et qu’elle ait été populaire – a fait franchir un seuil qui demeurera dans l’imaginaire politique des Corses à la fois comme un souvenir, un ferment et une promesse. Les indépendantistes n’ont donc pas à regretter leur participation à cette expérience de portée historique. Il n’en demeure pas moins que dans le contexte actuel, notre pays n’avance plus. Les espoirs nés il y a quelques années d’une solution rapide au problème corse ont été déçus. Mais la séquence politique présente n’aura qu’un temps. Par-delà les reniements – passés et à venir – de certains de ses responsables, la Corse est, et demeure, une nation de droit naturel. Le simple fait que les dirigeants parisiens se sentent obligés d’avoir recours à la méthode Coué, et de présenter la question en ces termes, le confirmerait s’il en était besoin : la Corse n’est pas la France. Jean-Guy Talamoni

#144 – Jean-Guy Talamoni : Fà campà Nazione

“ Le seul objectif institutionnel digne d’être poursuivi dès lors que l’on se réclame de la nation : l‘entière souveraineté.(...) Sans attendre les avancées institutionnelles qu’il nous faudra arracher – et non quémander – faisons vivre pleinement la nation. “ L’année 2022 s’ouvre dans une situation très différente de celle que nous connaissions il y a un an. Entretemps, la majorité nationaliste qui avait fait naître tant d’espoirs en 2015 et 2017 a volé en éclats. Corsica Libera n’a aucune responsabilité à cet égard : tel est le choix qui a été fait, unilatéralement, par ses partenaires. Dont acte. L’histoire jugera et il y a fort à parier qu’elle sera sévère à l’endroit de ceux qui ont provoqué ce gâchis, lâchant la main de leur allié pour tendre la leur à Paris. Ce fait doit demeurer à l’esprit, car oublier les enseignements du passé conduit inévitablement à l’impasse : Perdunà hè da cristianu, dimenticà si hè da bestia. En revanche, la rancœur et le ressentiment ne peuvent qu’être bannis car ils constituent des entraves. Or la Corse a besoin d’avancer. Tournons-nous donc résolument vers l’avenir et, pour cela, considérons les choses telles qu’elle se présentent et non telles que nous voulions qu’elles fussent. Examinons le chemin parcouru ces dernières décennies : au début des années 1970, la nation corse était sur le point de s’effacer. Une nation ne tient que par la volonté de ses membres. Or seule une poignée de Corses partageaient encore cette conscience nationale qui constitue le ciment d’une collectivité humaine soudée et cohérente, fidèle à sa vocation historique. « U miraculu di u settenta », comme on a pu l’appeler, a changé radicalement le cours des événements, interrompant la chronique d’une disparition annoncée. Les années suivantes furent faites de luttes, de drames et parfois d’erreurs. Elles permirent toutefois aux Corses de relever la tête et à la nation de se réveiller de sa longue léthargie. Certes, nombreux furent ceux qui apportèrent une contribution au changement. Mais comme toujours et partout dans l’histoire du monde lorsqu’il y a situation de domination, la partie la plus engagée du peuple prit une part déterminante dans le combat. C’est ainsi que des avancées furent arrachées, que notre patrimoine naturel fut relativement préservé, que la fameuse « bataille culturelle » fut menée victorieusement. Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous avons remporté le combat essentiel : la nation est une réalité vivante partagée par une forte majorité de Corses, et c’est bien là le plus important. Pour exister, la nation n’a nullement besoin d’une autorisation parisienne, ni même d’une « autonomie-de-plein-droit-et-de-plein-exercice ». Une évolution institutionnelle serait certes la bienvenue, mais elle devrait être appréciée, non pas en fonction de son appellation mais de l’ampleur des droits nouveaux qu’elle apporterait aux Corses. Par ailleurs, elle ne pourrait être conçue que comme une étape vers le seul objectif institutionnel digne d’être poursuivi dès lors que l’on se réclame de la nation : l’entière souveraineté. On ne peut sans hypocrisie se faire les thuriféraires des indépendantistes catalans, écossais ou kanaks et rejeter l’idée d’indépendance dans son propre pays. Sans attendre les avancées institutionnelles qu’il nous faudra arracher – et non quémander – faisons vivre pleinement la nation. Les principales institutions insulaires étant actuellement vouées à la seule gestion (dont la qualité devra au demeurant être évaluée), il appartient aux Corses qui considèrent la légalité française comme étrangère et transitoire d’arracher chaque jour de nouveaux pans de souveraineté. Faire vivre la nation c’est construire, dès à présent, au quotidien, par l’auto-organisation. C’est également refuser ce qui ne nous convient pas, en ayant recours, au besoin, à la désobéissance civile. Faire vivre la nation, c’est aussi considérer que la loi française, si elle est effectivement une réalité en Corse – souvent aux effets néfastes, du reste – ne nous lie aucunement sur le plan moral. Le gouvernement français la viole d’ailleurs lui-même allègrement, comme on le voit avec la question des prisonniers. Pourquoi serions-nous tenus de la respecter en toutes circonstances ? Le seul contrat social qui vaille est celui qui nous lie à nos compatriotes. Les seules règles qui s’imposent à nous sont celles qui sont prescrites par l’éthique, par le sens de l’humanité et par l’intérêt supérieur de la nation. Au seuil de cette nouvelle année, c’est la résolution que nous devrions prendre : faire vivre la nation sans attendre. Terminons ces quelques lignes comme le faisaient nos anciens. Assaillis par des difficultés de tous ordres, ils concluaient néanmoins leurs écrits politiques par ces mots : Campate felici ! À tutte è à tutti, precu a pace, a salute, l’amore è a libertà ! Jean-Guy Talamoni

Assemblea di Corsica : La majorité acte l‘échec de sa stratégie

« Par ailleurs, il n’est pas certain que le fait de chercher à nouer un accord avec l’adversaire aux dépens de ses alliés constitue une démarche glorieuse, ou même simplement honorable… » Depuis à présent des années, Corsica Libera plaide pour la mise en œuvre d’une stratégie offensive face au déni de démocratie parisien. Les autonomistes semblaient en revanche persuadés qu’en se montrant conciliants – pour ne pas dire davantage –, les choses finiraient par s’arranger. Se faire de plus en plus lisse, édulcorer sans cesse son discours, abandonner de fait les revendications de nature nationale : telle a été la démarche politique de Femu a Corsica. Jusqu’à mettre fin unilatéralement à l’union avec Corsica Libera, pourtant prévue pour dix ans. Si l’on en croit un article publié le mois dernier dans un journal parisien de référence, cette rupture – exigée depuis 2015 par Paris – aurait eu pour objectif de permettre l’ouverture d’un dialogue entre le gouvernement français et les autonomistes ainsi débarrassés de leur « encombrant allié indépendantiste Corsica Libera » (Le Monde). Sauf que cet allié a permis en 2015 aux autonomistes de s’emparer du pouvoir exécutif et en 2017 de parvenir à la majorité absolue. Par ailleurs, il n’est pas certain que le fait de chercher à nouer un accord avec l’adversaire aux dépens de ses alliés constitue une démarche glorieuse, ou même simplement honorable… Bref, le passé est ce qu’il est. Même s’il convient de ne point oublier ses enseignements, il nous faut prendre en compte la situation présente, afin d’envisager l’avenir. Sur cette situation, l’article d’Isabelle Luccioni du vendredi 19 novembre jette un éclairage cru. Evoquant les discussions ayant eu lieu durant la session de l’Assemblée de Corse, elle écrit : « La sensation générale, c’est que l’Etat n’a absolument pas envie de discuter avec les élus nationalistes. Pas plus maintenant que sous les précédentes mandatures. Même parmi les élus de la majorité, on ne croit plus vraiment avoir l’oreille de Paris. “Ils veulent nous transformer en super conseil général sous la tutelle du préfet”, grince un conseiller Fà populu inseme. » Rien d’étonnant à cela : prêts à toutes les concessions et reculades, les responsables autonomistes n’ont reçu en retour que le mépris de leurs interlocuteurs. Logique. Mesurant l’ampleur des dégâts, les élus ne savent manifestement plus à quel saint se vouer. La journaliste cite l’un d’eux qui, nous dit-elle, n’a jamais cautionné la lutte armée et qui s’en remet à présent au retour des clandestins pour débloquer la situation ! Il y aurait de quoi sourire, s’il ne s’agissait de l’avenir de notre pays… Lors de cette réunion de l’Assemblée de Corse, le Président de l’exécutif a fait part de sa détermination à s’opposer au dictat parisien concernant la dette envers la Corsica Ferries. S’agit-il d’un sursaut salutaire ? « Si l’on peut regretter que ce soit une affaire d’argent qui fasse prendre conscience d’une situation politique dont le caractère inacceptable est ancien, on ne peut qu’espérer un changement de stratégie des élus majoritaires. » L’avenir immédiat nous le dira. Si l’on peut regretter que ce soit une affaire d’argent qui fasse prendre conscience d’une situation politique dont le caractère inacceptable est ancien, on ne peut qu’espérer un changement de stratégie des élus majoritaires. Désormais au pied du mur, assumeront-ils leurs responsabilités ? Résisteront-ils à la tentation de rechercher une porte de sortie qui ne pourrait être qu’une humiliation de plus pour les institutions corses ? Si les propos de jeudi dernier sont enfin suivis d’actes empreints de force et de dignité, alors il est probable que l’ensemble du mouvement national sera au rendez-vous pour défendre les intérêts matériels et moraux de la Corse. Jean-Guy Talamoni

Affaire Alessandri, Colonna, Ferrandi : Délibérer, et après ?

« Mettre en œuvre tout ce dont la Corse dispose de moyens de lutte, depuis la désobéissance civile et institutionnelle jusqu’à la mobilisation populaire. » L’Assemblée de Corse a une nouvelle fois délibéré au sujet du sort fait aux orses condamnés dans l’affaire Erignac. Elle l’a fait de façon solennelle, en présence des anciens présidents de l’Assemblée de Corse. Dès l’instant où l’on était sollicité pour soutenir une nouvelle démarche visant à obtenir justice, l’hésitation n’était pas de mise. Pour tout Corse, apporter son soutien à des compatriotes en butte à un inqualifiable acharnement est une chose naturelle. Toutefois, cette nouvelle délibération nous a-t-elle permis d’avancer ? Si elle n’était pas enfin le signal d’une mobilisation constitutive d’un vrai rapport de force, il serait malheureusement permis d’en douter. Pourquoi, en effet, les dirigeants français seraient-ils plus sensibles à cette expression du fait démocratique qu’il ne l’ont été par le passé ? D’autant que s’agissant de la levée du statut de « détenu particulièrement signalé », des assurances nous avaient été données lors des entretiens que nous avions eus, le président du Conseil exécutif et moi-même, avec le président de la République française, puis avec le garde des sceaux. Des engagements honteusement reniés, ce qui n’est malheureusement pas rare, en la matière comme en d’autres. La question des prisonniers n’est évidemment pas indépendante du problème politique général. Elle en est même le cœur symbolique. La vérité, c’est que les dirigeants parisiens méprisent les élus insulaires et qu’ils ne le cachent même plus désormais. La présidente de l’Assemblée de Corse, Madame Maupertuis, en faisait d’ailleurs, lucidement, le triste constat : « La façon dont on traite la représentation démocratique en Corse est très singulière et ne laisse pas présager un échange fructueux » (Corse-Matin du 29 octobre). Le même jour, même s’il fut moins explicite, le président du Conseil exécutif ne cachait pas sa déception suite à ses déplacements à Paris. Face à ce mépris ouvertement affiché, que faire ? Y répondre par de nouvelles délibérations et de nouveaux voyages à Canossa reviendrait à accepter l’abaissement des institutions corses, et donc de la Corse. La seule attitude qui nous semble digne et conforme aux nécessités de l’heure serait de relever le défi qui nous est lancé et de mettre en œuvre tout ce dont la Corse dispose de moyens de lutte, depuis la désobéissance civile et institutionnelle jusqu’à la mobilisation populaire. Si la majorité autonomiste actuellement aux responsabilités décidait d’opter pour une telle attitude, elle ne bénéficierait peut-être pas d’une nouvelle unanimité à l’Assemblée de Corse. Elle aurait en revanche, à n’en pas douter, le soutien de l’ensemble du mouvement national. Il lui faut à présent choisir entre le consensus émollient et la fermeté, entre l’humiliation et la dignité. Jean-Guy Talamoni
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