ALERIA, u 21 e 22 d’aostu di 1975

«La lutte contemporaine pour la défense du patrimoine a réellement commencé ce jour-là » (Roger Simoni)    Les évènements d’Aléria se sont produits après une longue période de tensions entre la Corse et Paris, qui durait depuis plusieurs années. La jeunesse se radicalise, elle ne supporte plus la situation dans laquelle se trouve l’île, tant sur le plan économique que politique. Aucun développement économique, infrastructures inexistantes, le constat est affligeant. Les Corses ont le sentiment d’être abandonnés par le pouvoir central de Paris et par les clans politiques sur place. Les étudiants sont obligés de rejoindre les facultés des grandes villes du continent car la Corse, malgré les revendications qui augmentent dans ce sens ne possède toujours pas d’Université sur son territoire. Dans les principales facultés de Nice, Marseille Aix et Paris les étudiants corses en grand nombre s’organisent en syndicats et font remonter sur les différents campus les revendications de la Corse. Ils participent aux diverses manifestations de revendications sur l’île et tissent des liens avec le mouvement nationaliste de l’ARC dirigé par Edmond et Max Simeoni qui séduit bon nombre d’entre eux représentant par sa nouvelle approche de la politique qui prend en priorité en compte les problèmes de l’ile. Les premières grosses manifestations ont lieu en 1973 après qu’en avril 1972 le Provençal Corse révèle que la société italienne Montedison déverse dans la mer non loin du Cap Corse des déchets toxiques de bioxyde de titane. Le Conseil Général demande immédiatement une enquête et une intervention du gouvernement. Défenseurs de l’environnement, partis politiques, mouvements régionalistes manifestent à Macinaggio puis à Bastia. L’affaire prend des proportions considérables, en Corse comme sur le continent. Les Corses accusent l’Etat de manquer de fermeté envers l’Italie. Le 17 février 1973 des barques sur lesquelles sont dressées des banderoles avec des slogans hostiles à la Montedison se mettent en place à l’entrée du port d’Ajaccio, elles empêchent l’entrée du Monte Cinto puis du Napoléon dans le port. Simultanément à Bastia, les embarcations de manifestants empêchent l’entrée du Fred Scamaroni. A 17h une grande manifestation est organisée à Bastia. Le rassemblement a lieu devant le Palais de justice et derrière une banderole « Halte aux boues rouges, légitime défense » le cortège descend le boulevard Paoli vers la sous- préfecture. Plus de 3000 personnes se retrouvent devant les grilles du bâtiment. Lorsque la délégation menée par Edmond Simeoni se présente pour entrer, un groupe force le passage et s’engouffre dans les locaux. Quelques bureaux sont saccagés, les dossiers jetés par les fenêtres, le drapeau à tête de maure hissé au balcon du bâtiment. La manifestation dégénère, le sous-préfet Miguet est molesté, il lui est reproché ses prises de position politiques partisanes. Edmond Simeoni porte-parole de l’ARC et Vincent Duriani adjoint communiste au maire de Bastia sont arrêtés et emprisonnés pendant 10 jours. Le 26 février 1973 à l’appel du comité anti boues rouges d’Ajaccio la grève générale est déclarée et largement suivie dans l’île. Des manifestations ont lieu également à Toulon et Marseille. Le 15 septembre 1973 à Livourne est prononcé un jugement interdisant l’appareillage des deux bateaux de la Montedison concernés par le déversement des boues rouges. Dans la baie de Follonica un de ces navires est plastiqué et mis hors d’état de nuire pendant plusieurs semaines. Paris Match dévoilera sous la plume du journaliste François Peretti que l’action a été menée par le « Fronte paesanu corsu di liberazione » organisation clandestine créée depuis peu. En mai 1973, à Marseille dans le grand amphithéâtre de la faculté des sciences se tient un meeting pour faire état de la situation, il est suivi d’un important défilé dans les rues de la ville, pour la première fois, on entend le Diu Salvi Regina sur la Canebière. Le procès aura lieu le 27 avril à Livourne. Le Conseil Général de la Corse représenté par Ambroise Fieschi, vice-président, les villes de Bastia, Marseille et Nice, la jeune Chambre Economique d’Ajaccio ont été déboutés de leurs demandes de constitution de partie civile. Malgré cela, les divers experts italiens et français ont démontré les actions polluantes de la Montedison qui condamnée a accepté de recycler à terre les déchets, et d’autre part de procéder avant 1975 à l’installation des épurateurs qui entraineront la cessation de toute immersion des déchets en Méditerranée. Dans la même période, les revendications des agriculteurs sont nombreuses. Ils revendiquent une égalité de traitement avec les rapatriés d’Algérie qui bénéficiaient d’aides de l’Etat pour s’installer avec un taux plus favorable que celui accordé aux jeunes agriculteurs corses. A la fin des années 1950, l’Etat français a lancé un programme de valorisation de la plaine orientale. Les rapatriés d’Algérie seront environ 20000 à bénéficier de l’essentiel des lots distribués dans des conditions financières jamais consenties aux jeunes agriculteurs insulaires. En 1957 est créée la SOMIVAC, société d’économie mixte qui a pour objet officiellement la mise en valeur de la plaine orientale alors en friche. La création d’exploitations agricoles débute à Ghisonaccia sur « la terre des communs » d’Alzitone où une vingtaine de lots d’une superficie de 30 hectares chacun furent aménagés. Ces terres depuis toujours dans l’indivision appartiennent à l’ensemble des habitants de plusieurs villages alentour. Ils pouvaient cultiver une parcelle de ces terrains comme ils le voulaient. Si la parcelle restait inculte pendant trois années consécutives, n’importe quel ressortissant du canton pouvait en disposer. Personne ne s’opposa à cette transaction avec la SOMIVAC car la population considérait que c’était un bien pour le canton. Des fermes furent créées, entièrement équipées d’un réseau d’irrigation. Chacune d’entre elle possédait une maison d’habitation et un bâtiment d’exploitation. Un bail symbolique de 50 ans était proposé avec un cahier des charges imposant la pratique des cultures irriguées. Les candidats devaient payer 50.000 francs à la signature. Cette somme importante à l’époque a découragé bon nombre de jeunes agriculteurs insulaires. La quasi-totalité des lots SOMIVAC d’Alzitone fut attribuée aux rapatriés d’Algérie en suspendant l’obligation de paiement à la signature ainsi que le respect du cahier des charges. Des crédits spéciaux furent accordés à la SOMIVAC par l’Etat pour continuer l’œuvre de réinstallation en achetant 2000 hectares du domaine de la FORTEF à Prunelli di Fiumorbu. La population locale qui avait accepté que les rapatriés qui avaient tout perdu retrouvent un toit et la possibilité de travailler la terre comme ils le faisaient dans la Mitidja en Algérie, commença à se rebeller lorsqu’elle réalisa qu’on allait encore attribuer la prochaine tranche aux rapatriés alors que ceux qui avaient choisi l’exode massif de 1960 étaient déjà installés. La SOMIVAC n’hésite pas à acheminer de futurs acquéreurs depuis Toulouse pour qu’ils puissent visiter les lots disponibles. Les populations d’Abbazia et Migliacciaru prirent alors conscience de la spoliation dont elles étaient victimes. Une première vague d’attentats contre les fermes inoccupées eu lieu. Les slogans encore visibles aujourd’hui inscrits sur les murs dénonçaient la SOMIVAC et le clan. Il ne fut jamais fait allusion aux rapatriés. En plus de leur installation, des prêts spéciaux aux rapatriés accordés par le Crédit Agricole à la demande de l’Etat auxquels venaient s’ajouter les IPP (Interventions sur Propriétés Privées) de la SOMIVAC pour la mise en culture, ainsi que des prêts de « mise en valeur » hors quota de l’encadrement du crédit en vigueur à l’époque. Autrement dit, pour les rapatriés tout était pris en compte, soit financé par l’Etat, soit grâce à des mesures dérogatoires dont ils étaient les seuls à en bénéficier. Pour les agriculteurs corses dits « de droit commun » ils devaient hypothéquer tous leurs biens familiaux pour obtenir un prêt souvent différé d’un mois voire même d’un an à cause de l’encadrement du crédit qui leur était appliqué. Les prêts des jeunes agriculteurs corses étaient plafonnés à 150.000 francs avec ce système. Henri Depeille propriétaire de la cave d’Aléria affirmait qu’il n’avait obtenu « que 14000 francs l’hectare » comme tout le monde. Il oubliait de préciser qu’il avait mis près de 10.000 hectares en culture, soit l’équivalent de 10 millions de francs de l’époque obtenus en financements spéciaux. Cette différence de traitement des dossiers par le Crédit Agricole qui se comportait comme un banquier mais ne remplissait pas son rôle de mutualiste auprès des agriculteurs comme le veut sa vocation première était due au fait que cet établissement voulait éviter les impayés en accordant les prêts plutôt aux rapatriés car ils étaient garantis dans leur quasi-totalité par l’Etat. Les premiers signes de révolte apparurent en août 1974 avec l’occupation de la Direction Départementale de l’Agriculture et l’affaire Degos du nom de son directeur. Le 27 août la FDSEA organise une manifestation à Ajaccio. Une délégation est reçue à la Direction Départementale de l’Agriculture par le directeur Guy Degos. Le ton monte avec les syndicalistes qui lui reprochent de favoriser les «colons » de la plaine orientale aux dépens des petits producteurs corses. S’en suivent des bousculades, Guy Degos se trouve déculotté, un sac de jute sur la tête. La photographie du fonctionnaire se trouvera le lendemain matin dans le Provençal Corse. Cette action strictement syndicale fut violemment condamnée par les chefs de clans locaux la qualifiant comme une « action dirigée contre l’Administration française ». Le Préfet Jacques Delaunay très en colère estime que c’est « une atteinte à la dignité de l’Etat ». Il fait procéder à l’arrestation d’une dizaine de responsables syndicaux agricoles qui sont immédiatement transférés à Marseille par avion militaire. Six d’entre eux sont inculpés dont plusieurs dirigeants de la FDSEA : François Musso, Maurice Acquaviva et Roger Simoni. Cette répression excessive va une nouvelle fois mettre le feu aux poudres. Le 29 août, des affrontements se produisent à Ajaccio entre forces de l’ordre et manifestants qui demandent la libération des emprisonnés. Le Crédit Agricole à la sortie de la ville est détruit par un attentat. Des hélicoptères bombardent des grenades lacrymogènes au-dessus de la place du Diamant. Une vingtaine de personnes sont encore arrêtées. Le soir même le juge d’instruction de Marseille décide de libérer les militants emprisonnés. Ils seront accueillis par un millier de personnes à leur arrivée à Campo dell’Oro. Trois jours plus tard le gouvernement français prend enfin la décision d’un moratoire d’un an en faveur des agriculteurs corses. Sur l’île, dans la population, une certitude est née de ces évènements : pour que le pouvoir tienne ses engagements, il faut descendre dans la rue, les promesses plus personne n’y croit … Le 17 août 1975 se tient à Corté le 9ème congrès de l’ARC (Azzione per a rinascità di a Corsica), sous un chapiteau comble, devant environ 8000 personnes. L’ambiance est tendue, beaucoup de jeunes sont présents. Les étudiants des universités du continent sont rentrés en nombre. Pour la plupart ils font partie des différents syndicats étudiants fraichement créés et représentent une frange plus radicale que la base de l’ARC. Des scissions sont intervenues dans le mouvement, et certains présents ont été exclus de l’ARC quelques jours avant. Pour marquer leur opposition à cette décision, certains n’ont pas manqué de le faire savoir en inscrivant sur les murs de la cage d’escalier des locaux de l’ARC le slogan « Edmond, choisis la canne à pêche ou le fusil » faisant certainement allusion aux diverses prises de paroles d’Edmond Simeoni qui en réunion, devant la situation générale qui se dégrade répète « Il va falloir prendre le fusil » et aussi la mollesse qu’ils reprochent à l’ARC. L’ambiance est électrique, devant cette foule énorme, Edmond Simeoni a tenu un discours percutant dans lequel il a posé 20 questions à son auditoire composé de militants et sympathisants qui à chaque fois, sous des applaudissements nourris répondront de façon affirmative. La dernière question capitale sera : « Etes-vous prêts à nous soutenir financièrement ? à nous donner les moyens d’une meilleure information ? à déclencher des grèves et manifestations de soutien si l’on nous emprisonne, à continuer une lutte sans merci si l’on nous tue ? »  Sous les clameurs et applaudissements de la foule, il continuera : « la clarté, la vigueur, l’ampleur, la foi de vos réponses ne sont pas une surprise. Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous avons pris rendez-vous avec l’Histoire » puis d’ajouter «Dans l’immédiat il nous faut obtenir un statut d’autonomie interne avec la reconnaissance juridique du peuple corse. » Il citera Che Guevara : « un révolutionnaire il gagne ou il meurt » sous les applaudissements et les cris de la foule présente qui ressort du chapiteau galvanisée par le discours qu’elle vient d’entendre. .   A la fin du meeting, Edmond Simeoni approche plusieurs jeunes militants sur qui il sait compter et leur demande de le retrouver le 21 au matin à Ghisonnaccia pour une action. A l’aube une réunion de militants a lieu dans une maison du village. Il est décidé l’occupation de la cave d’Henri Depeille à Aléria. Ce rapatrié d’Afrique du Nord est impliqué dans plusieurs scandales financiers dénoncés par les syndicats agricoles et l’ARC. A 7 heures du matin, une trentaine d’hommes composée de militants de l’ARC, de jeunes agriculteurs et de vignerons, armés de fusil de chasse pénètrent dans la ferme à visage découvert. Marcel Lorenzoni sera désigné comme « responsable militaire de l’opération ». Le Dr Edmond Simeoni est à leur tête. Le message est passé, l’opération d’Aléria est la mise en pratique de ce qui avait été annoncé à Corté quelques jours plus tôt. Menée à visage découvert, l’opération de l’ARC affiche la radicalisation du mouvement qui pour la première fois montre des militants armés. Dans la maison la famille Delpeille est priée de partir fermement mais sans violence. Une quinzaine de personnes, pour la plupart des ouvriers agricoles logés dans les dépendances également. Arrivés dans le bureau, les hommes du commando occupent les lieux sans avoir au préalable jeté documents et dossiers qui s’y trouvaient par les fenêtres. A l’entrée, deux hommes sont postés et empêchent toute personne de passer. Une douzaine de personnes restera à l’intérieur. Le reste, une vingtaine de militants est chargée de la logistique, ils assurent le lien avec la population, voient des élus, les maires, alertent la presse. Certains vont faire des démonstrations de force chez des colons des fermes viticoles de la région pour affirmer que cette situation de fraude doit cesser. L’entrée de la propriété est barrée par un amas de fils de fer, barbelés, planches, barils divers. Sur le perron plusieurs hommes montent la garde l’arme à l’épaule. La bandera à tête de Maure est dressée sur le toit. Sur les murs extérieurs sont inscrits les slogans « Colons, escrocs fora »  « Terra corsa a i Corsi »  Au premier étage est stocké le ravitaillement, du matériel de couchage, et divers équipements. Devant les quelques journalistes présents, Edmond Simeoni fait une déclaration : « Nous avons choisi Aléria parce que nous sommes ici au centre d’une région à forte colonisation agricole, et nous avons choisi Delpeille parce qu’il est au centre d’un scandale financier avec d’autres, Infantès, Junqua, Tual et Siegel. Un scandale que l’Administration et les banques s’efforcent d’étouffer au détriment des petits exploitants. Le but de l’opération d’aujourd’hui est bien précis. Nous demandons : - la libération de Dominique Capretti qui est un de nos militants. Nous ne comprenons pas qu’on le garde en prison pour un simple délit d’affichage alors que les escrocs sont libres. -l’arrestation des escrocs, la saisie conservatoire de leurs biens, la redistribution sous forme communautaire de leurs 2000 hectares et de leurs caves aux agriculteurs locaux les plus défavorisés. Puis, il précisera : « Notre action n’est pas dirigée dans le sens d’une modification des institutions. Ce n’est pas la revendication du statut d’autonomie interne. Ce n’est ni du racisme ni de la xénophobie, ni une chasse aux sorcières. Nous demandons simplement justice sur un point très particulier. Il n’y a pas de provocation de notre part. Il ne peut pas y en avoir. Les ordres sont rigoureux et strictement suivis. S’il devait y avoir provocation, elle ne pourrait venir que de la police ou des services parallèles. Enfin il annonce : « Nous avons pris contact avec diverses organisations ; nombreuses sont celles qui nous ont donné leur accord. Aujourd’hui, une réunion est prévue avec tous ceux qui ont sur le problème corse a même optique que nous. Afin de dégager une ligne d’action commune et de constituer un front commun de lutte, demain à 10 h aura lieu une conférence de presse, et dimanche à 16h se tiendra un grand meeting populaire avec nos militants, nos sympathisants, et tous ceux qui en ont « ras le bol». Rien ne s’est passé comme prévu. En début de soirée, sur ordre des autorités, la ligne téléphonique de l’établissement est isolée. A l’intérieur, les militants ont conscience de la gravité de la situation. A l’extérieur, devant « A casa di u Prete » des militants continuent d’arriver et se regroupent. Certains communiquent avec l’intérieur par Talkies Walkies Tous soutiennent l’action du groupe et se demandent ce que vont décider les autorités, car des rumeurs circulent sur l’arrivée massive à Bastia de garde mobiles venant de Paris. Le photographe du Provençal Gérard Koch est seul autorisé à pénétrer à l’intérieur. Ce 21 aout, chacun s’endort persuadé que l’affaire n’intéresse pas grand monde. C’était sans compter sur Michel Poniatowsky alors ministre de l’intérieur du gouvernement Chirac, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Seul aux commandes en cette période de vacances, il veut absolument faire preuve de fermeté et faire un exemple envers ceux qu’il appelle « les insurgés ». Il répondra dans la démesure : devant une trentaine de militants armés de fusils de chasse, il envoie sur l’île 2000 hommes avec des blindés légers, et des hélicoptères Puma. L’Etat ne cherche pas le dialogue, il mène une opération de guerre décidée par quelques-uns en quelques heures Le matin du 22 août, en même pas une demi-heure les troupes de gendarmes et gendarmes mobiles se massent autour du domaine, de plus en plus nombreuses, 1200 hommes cernent complètement la propriété, dans les vignes et le long de la route nationale. Ils sont couverts par les hélicoptères Puma. Un avion Transall tourne aussi au-dessus du domaine, et les militants sont informés qu’un navire de la marine nationale est arrivé au large de la plaine orientale. Des militants et sympathisants ont réussi non sans mal à passer les barrages et se regroupent devant la ferme. Le bruit court que l’assaut est imminent. Les syndicalistes agricoles présents sur place dès le premier jour se rendent compte de la gravité de la situation et du drame qui risquait de se produire si une décision des pouvoirs publics ne permettait pas aux occupants de suspendre leur action. Il fut donc demandé à Maurice Acquaviva d’effectuer une démarche à Ajaccio pour proposer aux autorités l’annonce de la création d’une SAFER qui se justifiait alors. C’était le seul outil existant partout en France sauf en Corse qui permettait d’enrayer la vente ainsi que la concentration des terres entre quelques mains. Vers 10h30 le sous-préfet de Bastia Jacques Guérin déclare « les assiégés ont menacé de tuer immédiatement les otages si le dispositif n’est pas allégé. En accord avec les instructions reçues et dans un geste de bonne volonté, nous avons fait reculer le service d’ordre de deux ou trois cent mètres. J’ai eu plusieurs entretiens avec le Dr Simeoni dans le but de sortir de cette situation sans effusion de sang car ceci est mon souci et le souci du gouvernement. C’est une phase délicate car la vie des otages est en jeu. On nous les a présenté dans la matinée, ce sont des travailleurs nord-africains, et deux touristes français, mais ils ont les yeux bandés et nous n’avons pas pu vérifier (les deux touristes étaient deux militants autonomistes auxquels ont avait bandé les yeux et les poignets puis emmenés sur la route devant les caméras de télévision et les journalistes présents). J’ai proposé au Dr Simeoni de remettre les otages, de remettre les armes aux forces de l’ordre et de se prêter à un contrôle d’identité. Après quoi tous les membres du groupe pourront rejoindre leur domicile étant bien entendu qu’ils seront poursuivis dans le cadre de l’action judiciaire ouverte contre eux. Cette proposition a été refusée. » Après quelques moments de calme, au moment de la pause déjeuner, Max Siméoni donne une conférence de presse il déclare : « Le Préfet a tenu une conférence de presse. Des quelques échos que nous en avons, nous retiendrons qu’il nous a traités de fascistes, de trafiquants de vins qui dénoncent le trafic justement pour noyer le poisson. Mais il reconnait d’une manière générale que l’ARC est animée de la volonté d’éviter l’affrontement. Pour ce qui est des déclarations de certains, nous disons qu’ils s’abritent derrière la colonie pied-noir dont ils se servent comme d’un tampon (allusion aux déclarations du Comité de Défense des Rapatriés de Bastia) Nous lançons un appel à tous les pied-noir lucides et nous leur demandons de se désolidariser des escrocs. Il y a encore de la place pour tous les hommes de bonne volonté, qu’ils soient pied-noir ou pas. Mais nous dénonçons le caractère colonial de la mise en valeur de l’île et les agissements des escrocs. Que cherchons-nous ° Depuis des mois un scandale invraisemblable qui concerne la viticulture (80 % de l’économie corse) est connu des organismes sociaux et professionnels, de certains mouvements revendicatifs comme nous, mais aussi des pouvoirs publics. La campagne que nous avons entamée à ce propos demeure sans effet parce que nous constatons une volonté obstinée d’étouffer ce scandale, d’en réduire la portée, l’ARC a pris ses responsabilités civiques. Elle les a prises parce que ce problème est grave. Nous ne le faisons pas en tant que moralisateurs, mais parce que les escrocs bénéficient de la complicité officielle. Les hommes ne nous intéressent pas , c’est le système de la mise en valeur de la plaine orientale que nous voulons casser et mettre les autorités devant leurs responsabilités pour promouvoir une économie qui ait un devenir et profite à un nombre maximum de jeunes Corses. ». A l’intérieur comme à l’extérieur de la cave Delpeille ou de nombreuses personnes continuent d’arriver de toute l’île, on attendait mais on ne croyait pas à un assaut, malgré la forte présence des forces de l’ordre que l’on avait jamais vu en Corse en si grand nombre. Une annonce est faite qu’un ultimatum est donné aux « insurgés » jusqu’à 16 H. A l’heure dite, après que les otages eurent quitté la cave, le service d’ordre fait les premières sommations. Des tirs de grenades lacrymogènes atterrissent pour la plupart sur le toit du bâtiment. Des tirs d’armes à feu sont entendus des deux côtés, des coups isolés, des rafales. La confusion règne, les forces de l’ordre ont attaqué de face, pendant que dans les vignes des hommes étaient prêts à intervenir postés tout autour de la cave. Au nord de Cateraggio les premières explosions de grenades ont été saluées par des bordées d’injures criées par un groupe de sympathisants de l’ARC qui s’étaient massés face aux barrages des gendarmes mobiles. La tension monte, les jeunes veulent passer à l’attaque et chantent « U Colombu » l’hymne autonomiste et «U  Diu Salvi Régina ». Ils dressent leurs propres barrages avec des véhicules, et s’efforcent de rassembler le plus de monde possible. A deux kilomètres au sud de Cateraggio la même scène se renouvelle. Puis le silence… deux drapeaux blancs ont été dressés sur la ferme. Chacun se demande ce qu’ils peuvent signifier mais on comprend qu’une sorte de trêve à l’air d’être en cours. Un hélicoptère se pose sur la route, un brancard est porté sur lequel se trouve un CRS que l’on transfère à l’intérieur. Il est 16h15. Un autre gendarme est évacué par ambulance. Autour de la ferme les troupes d’assaut sont toujours en mouvement. On entend encore des coups de feu isolés ou en rafales. A 17 H d’importants renforts arrivent largués par 8 hélicoptères Puma à proximité de la ferme. Huées et insultes saluent cette arrivée massive. Au nord de Cateraggio le groupe de sympathisants se trouve toujours face aux gendarmes. Au sud on entend des cris, des coups de feu, des klaxons. Les quelques minutes d’accalmie ont été employées à emporter les morts et les blessés. On dénombre deux morts du côté des forces de l’ordre et plusieurs blessés dont Pierrot Susini parmi les assiégés. Après avoir secouru un gendarme blessé et son compagnon Pierrot Susini, qui présentait une horrible blessure, son pied fut arraché (certainement pas par une grenade lacrymogène !) Edmond Simeoni annonce qu’il est prêt à se rendre à condition que ses camarades puissent quitter librement la cave. Il prend place dans un hélicoptère qui l’emmène au camp militaire de Borgo où il faillit être lynché par les CRS de retour d’Aléria. Il sera transféré dans la nuit à Paris, où commencera sa garde à vue qui durera 6 jours, avant son incarcération dans un quartier de haute sécurité de la prison de la Santé. Les derniers occupants quittent la cave en camion en tirant des coups de feu et partent en direction de Ghisonaccia. A Bastia, vers 22h des incidents vont éclater devant la sous-préfecture où de nombreuses personnes se regroupent, certains disent leur inquiétude quant au sort d’Edmond qui risque la peine de mort. En effet à cette époque elle n’est pas abolie, et la violence des propos du ministre de l’intérieur envers les militants d’Aléria ne laisse présager rien de bon. Les forces de l’ordre sont en grand nombre, de nombreuses personnes continuent à arriver. La tension est vive, Un automobiliste qui se dirigeait vers la gare avec sa femme et sa fille à bord est blessé à l’épaule par un coup de feu. Pour les uns ce serait le tir d’un CRS, pour d’autres une balle perdue. Devant la sous-préfecture où plusieurs dizaines de personnes sont rassemblées les jets de pierres et divers projectiles commencent. Cinq à six cars de CRS arrivent en renfort et se positionnent face aux manifestants. Les heurts entre forces de l’ordre et manifestants durent pendant plusieurs heures. La ville est entièrement quadrillée par les forces de l’ordre. Des heurts dureront plusieurs jours, les contrôles d’identité sont musclés, souvent accompagné d’insultes, la population est exaspérée et inquiète. Le 27 août la nouvelle tombe : par décision du Conseil des Ministres l’ARC est dissoute. Dans la hâte, militants et sympathisants déménagent le siège du mouvement « on nous traite comme des bandits, les Corses savent bien que nous ne sommes pas des bandits même s’ils ne partagent pas nos idées.» Il lance un appel au calme aux militants, la tension est palpable en ville. Ce mercredi 27 août peu avant minuit, le bateau « Comté de Nice » qui est resté plusieurs heures au large de Bastia arrive vers l’entrée du port. Dans la ville chacun sait qu’il transporte du matériel et des camions destinés aux gendarmes mobiles. Un détachement de CRS a pris position devant la sous-préfecture. A 50m d’eux de nombreux jeunes se regroupent près du débarcadère annonçant que des chars d’assaut allaient être débarqués. Une fois à terre les forces de l’ordre prennent position sur la place St Nicolas. Des jets de bouteilles de projectiles divers sont lancés en leur direction. La riposte ne se fait pas attendre et la première charge a lieu accompagnée de tirs de gaz lacrymogène. Les bars alentour surpris n’ont pas eu le temps de ranger leurs terrasses, les manifestants se servent des chaises et tables pour bloquer la rue et empêcher les cars de CRS d’avancer. Un cocktail molotov est lancé des véhicules postés aux quatre coins de la place les gardes mobiles descendent et chargent. Des grenades lacrymogènes sont lancées à travers les vitres des cafés où des manifestants se sont réfugiés au milieu des clients. Peu après minuit la place est dégagée mais les incidents continuent dans les rues adjacentes. Les vitrines de plusieurs banques et d’Air Inter sont brisées. L’armumerie de la rue Abbattucci est dévalisée. On voit des hommes armés sortir des portails. Des coups de feu sont tirés vers 2h15 autour de la place St Nicolas depuis des fenêtres d’immeubles, 4 CRS sont blessés. Plusieurs tireurs masqués mettent en joue les forces de l’ordre, tirer et disparaître aussitôt. A 2h30 on apprend la mort d’un CRS .Les tirs entre manifestants et forces de l’ordre dureront jusqu’à 4h30 du matin. La ville est en état de siège, 3 automitrailleuses sont immobilisées au bas du boulevard Paoli sous les fenêtres de l’ARC, les canons sont pointés vers les fenêtres, une bande de cartouches est engagée dans chacune des armes automatiques. Le centre-ville est isolé, les immeubles entre le boulevard Paoli et la place St Nicolas systématiquement fouillés, les automobilistes aussi. Sur dénonciation d’un voisin qui dit l’avoir vu sortir de sa voiture avec une arme, le militant nationaliste Serge Cacciari sera arrêté une arme ayant été trouvée dans son appartement qui « correspondait à l’arme avec laquelle le CRS a été tué ». Aucune preuve ne viendra étayer cette accusation, il restera silencieux tout le temps de sa garde à vue. Le 10 juillet 1976, il sera condamné à 10 ans de réclusion criminelle pour crime de sang. Quelques semaines avant l’ouverture de son procès, le procureur démissionne afin de protester contre les injonctions de la présidence de la République. L’Elysée voulait obtenir une condamnation plus lourde. Rappelons qu’à cette époque la peine de mort est toujours en vigueur. Il fut transféré à la centrale de Melun où ses conditions de détention étaient inacceptables. En protestation il entama une grève de la faim qui durera 33 jours dont 4 jours de grève de la soif, grève suivie à l’extérieur par son frère Alain et ses amis Chantal Loverini et Jean-Claude Maroni. Il sera transporté en urgence à l’hôpital de la prison de Fresnes. Il sera amnistié par François Mitterrand Président de la République qui avait promis l’amnistie pour les prisonniers et bénéficiera d’une libération conditionnelle. Les syndicats de police s’opposent à sa libération car impliqué dans un crime de sang sur un CRS. En signe de protestation, les détenus corses qui devaient être libérés refusent de sortir (Nanou Battestini, Paul Ceccaldi, Henri Palazzo, Stéphane Peraldi, José Pozzo di Borgo, François Taddei). Le 22 juillet 1981 il bénéficiera d’une libération conditionnelle après 6 ans de détention. Le procès d’Edmond Simeoni se tiendra à Paris du 17 mai au 23 juin 1976 devant la Cour de sureté de l’Etat. Il sera condamné à 5 ans de prison dont 3 fermes. Il sera libéré le 11 janvier 1977.. Les évènements d’Aléria furent le déclenchement d’une prise de conscience de tout le peuple Corse. Cette période marquait le début du nationalisme contemporain. Aleria a permis de porter la revendication nationaliste sur le devant de la scène politique. Ce fut ensuite la naissance d’un mouvement insulaire radicalisé, autonomiste et indépendantiste. L’échec de l’opération d’Aléria a signé la faillite de la stratégie démocratique des dirigeants autonomistes. Certains parmi les plus radicaux se regrouperont pour créer le mouvement armé du FLNC qui sera officialisé le mai 1976 ; ce même jour on comptera 18 plasticages. 50 ans après, pour un grand nombre de militants, jeunes ou moins jeunes, le constat est amer. Tant de souffrances : morts, années de prison, engagements personnels déçus, revendications non abouties, pouir arriver en 2025 à une parodie d’autonomie proposée par le gouvernement français. Nazione ne peut cautionner une telle décision. D.T Bibliographie : Mémorial des Corses L’indispensable vérité (Roger Simoni)
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