De la Guadeloupe à la Kanaky, en passant par la Corse - au delà de tout ce qui n’est pas forcément comparable - il existe un point commun qui relie toutes « ces îles que l’on dit françaises »*, et qui, en réalité, ne le sont ni par la culture, ni par la géographie, ni par l’Histoire.
Il s’agit de l’attitude d’un Etat qui ne s’oriente vers un semblant de dialogue qu’en cas de tensions et de troubles graves, et trahit systématiquement sa parole, ses engagements, et tout espoir de résolution raisonnable, juste, politique, des problèmes posés par des peuples à qui l’on dénie des droits pourtant imprescriptibles, et reconnus par les Nations Unies depuis toujours.
Comme si l’annexion par les armes et le feu, sur fond de massacres des populations autochtones, était le seul critère de légitimité reconnu, au mépris de toutes les déclarations officielles assénant à longueur de temps l’exact contraire.
« Les stratégies visant à amoindrir le caractère national de revendications légitimes et validées par le peuple(...) sont vouées à l’échec. »
Ce cynisme insupportable et injustifiable, porteur de tant de drames passés et potentiels, conduit non seulement à un déshonneur, source de futures repentances hypocrites - exercice dans lequel l’Etat français est devenu champion toutes catégories -, mais aussi au désaveu de personnalités lucides, honnêtes, impliquées dans des processus vertueux, comme a pu l’être, en son temps un Michel Rocard par exemple.
La logique aveugle d’un vieil empire colonial qui ne veut pas mourir alors qu’il pourrit de l’intérieur s’applique alors par des démonstrations de force, et des rigidités absurdes, qu’il applique avec d’autant plus de détermination morbide à sa périphérie que son vieux cœur décadent n’arrive plus à battre qu’au rythme imposé par les banques et les puissances financières du moment.
En Corse, comme ailleurs, la démonstration a été faite, à maintes reprises, que les stratégies visant à amoindrir le caractère national de revendications légitimes et validées par le peuple, ou celles qui privilégient une pérennité purement électorale sur la consolidation d’un socle cohérent, combatif et déterminé à changer la situation, sont vouées à l’échec.
Oublier la nature du système étranger qui nous est opposé, n’avoir comme seule ligne d’horizon que la désagrégation de la vieille classe politique aux affaires pour se contenter de les gérer un peu mieux, alors que les mécanismes de dépendance et de destruction de notre être collectif perdurent, c’est participer à l’anesthésie du peuple dont on est censé défendre les intérêts. Ça n’est pas ce dont la Corse a besoin, ce n’est pas ce pourquoi les patriotes corses se battent depuis si longtemps.
« L’avènement d’hommes d’Etat français capables d’une hauteur de vue et d’un courage politique suffisants pour infléchir cette ligne mortifère semble une perspective de plus en plus lointaine. »
En France, malgré les efforts unilatéraux émanant exclusivement de la Lutte de Libération Nationale en vue de créer les conditions les plus favorables à une résolution pacifique et véritablement démocratique de la situation, l’« Etat profond » est manifestement toujours en guerre contre l’idée même d’une nation corse exerçant une quelconque forme de souveraineté. Le sort réservé aux prisonniers politiques, le mépris affiché pour les décisions ou votes de l’Assemblée de Corse, et autres injonctions préfectorales, en attestent. Et l’avènement d’hommes d’Etat français capables d’une hauteur de vue et d’un courage politique suffisants pour infléchir cette ligne mortifère semble une perspective de plus en plus lointaine.
Dans la période qui s’ouvre, toutes les forces vives de notre pays devront donc, nécessairement, trouver les voies et moyens d’un redéploiement efficace et durable, en se rappelant toujours ce qu’écrivait en substance Sun Tzu: « Quand l’ennemi t’a emmené à le combattre avec des armes choisies par lui, à utiliser le langage qu’il a inventé, à te faire chercher des solutions parmi les règles qu’il a imposées, tu as déjà perdu toutes les batailles, y compris celle qui aurait pu le vaincre. » Le stade ultime d’un tel funeste processus étant atteint lorsque l‘on ne combat plus l‘ennemi et que l‘on adhère à l‘idée de sa propre soumission.
Ce qui ne sera jamais le cas pour qui veut réellement libérer et construire la nation.
Eric Simoni
* « Ces îles que l’on dit françaises » est un ouvrage collectif paru en 1985 et préfacé par Jean Marie Tjibaou.