“Stratégie pour un destin corse” da Jean-Guy Talamoni
Non, le destin de la Corse n’est pas français, comme l’affirmait curieusement le président de l’exécutif il y a quelques jours. Non, on n’a pas le droit de renvoyer dos à dos – il l’avait fait deux semaines plus tôt – le crime organisé qui sévit dans notre pays et ceux qui ont tout sacrifié pour défendre ce même pays. Non, déférer aux injonctions de l’adversaire et aller toujours plus loin dans le reniement ne constitue pas une stratégie valide. Ni digne, au demeurant.
Car c’est bien de stratégie qu’il s’agit. Le problème n’est jamais une question d’homme. Les hommes peuvent changer. En mal – ici, quelques exemples peuvent venir à l’esprit –, mais parfois aussi en bien. Comme avocats, nous avons l’habitude de le rappeler : ne jamais réduire un homme à certains de ses actes, fussent-ils singulièrement graves. À un problème politique persistant, la bonne réponse ne peut-être de désigner un bouc émissaire. Un tel problème appelle une stratégie adaptée.
Celle mise en œuvre depuis 2021 par le Cours Grandval à l’égard de Paris (connivences – courbettes – compromissions) a largement montré sa nocivité pour le mouvement national (déloyauté – déstabilisation – division). Dès l’origine, ces lourds inconvénients ne sont pas passés inaperçus. Pour toute réponse à ces inquiétudes, on a alors entendu une petite musique, celle de la prétendue realpolitik : « Capisci, il faut être malin, on va obtenir l’autonomie… ».
Malheureusement, même si l’on fait abstraction des questions d’éthique – ce qui n’est jamais bon –, force est de constater que cette « stratégie » n’en est pas une. Elle ressemble plutôt, au mieux, à de la rouerie de cantine.
Il suffit d’avoir lu quelques livres d’histoire pour savoir que la France n’a jamais concédé la moindre avancée à un peuple soumis à sa tutelle sans y être contraint par un rapport de force. Jamais.
Ainsi, en Corse, après avoir conduit ses interlocuteurs à des compromissions difficiles à assumer, Paris les a subitement abandonnés, désormais sourd à leurs appels incessants et larmoyants au « dialogue ». En politique, si l’on peut négocier avec des adversaires, on ne le fait généralement pas avec ceux qui ont accepté d’être des subordonnés.
C’est dans cette situation d’indifférence et de mépris parisiens qu’est intervenu l’assassinat d’Yvan Colonna, suivi de la révolte de notre jeunesse. Débarquait alors en urgence Gérald Darmanin, le mot d’autonomie à la bouche, cherchant avant tout à rétablir le calme en cette période préélectorale. Le semblant de processus qui s’est déroulé depuis lors a donc pour cause exclusive la détermination des jeunes Corses. Dès que les élus reprirent la main, ils acceptèrent d’écarter des discussions les sujets les plus essentiels, à travers les « lignes rouges » mentionnées dans le protocole Darmanin-Simeoni. Plus que d’une erreur, il s’agissait d’une nouvelle faute, laquelle ne pouvait déboucher, un an et demi plus tard, que sur l’ouverture en trompe l’œil opérée par le discours d’Emmanuel Macron devant l’Assemblée de Corse : une rhétorique avenante cachait le vide sidéral du fond politique. Comme devait le constater l’éditorialiste Jean-François Achilli sur France Info : « Une déclaration forte dans les mots, mais pas dans les contenus ». Pas de reconnaissance des droits du peuple corse, pas de corsisation des emplois, pas de statut de coofficialité pour sauver notre langue, pas de statut de résident pour interrompre le processus de dépossession…
Voilà donc où nous en sommes. La « stratégie » à l’œuvre mène tout droit à l’échec et il faut en changer. Comment transformer le bavardage institutionnel actuel en négociation porteuse d’avancées ? Pour notre part, nous n’avons cessé, depuis 2015, de préconiser la mise en place d’un rapport de force, serein et déterminé. Nous avons collectivement les moyens d’une véritable mobilisation populaire à travers nos forces vives, politiques, syndicales, associatives… L’appel de Patriotti pour la réunion du 15 octobre à Corti peut en être l’occasion et c’est dans cet esprit nous y participerons. L’objectif doit être de convaincre l’ensemble des nationaux que seul paye le courage politique. Quant à ceux qui rédigent actuellement la chronique d’un échec annoncé, offrons leur – par-delà leurs erreurs – la possibilité d’apporter une contribution aux nouvelles pages que nous voulons écrire. De nouvelles pages qui mériteront enfin, sans grandiloquence ridicule, le qualificatif « historique ».
Jean-Guy Talamoni