Interview : “Manifeste pour une Corse souveraine” – Maì Guillem

À l'aube d'une possible évolution institutionnelle pour la Corse, nous ne sommes jamais avares lorsqu'il s'agit d'avoir des idées sur le devenir de notre île. Les pistes sont nombreuses, et nous regrettons que les discussions actuelles, tout comme en son temps le processus dit de "Beauvau", ne laissent que peu de place aux revendications historiques du mouvement national. Des mesures qui, parfois, créent un consensus au-delà même de la famille nationaliste, et que l'on jugerait comme le minimum pour qu'un changement juridique soit efficace et se présente comme une réelle avancée. Le terme d'autonomie est dévoyé dans une période où les repères politiques n'existent plus et où chaque camp cherche à préserver ses intérêts, entretenir une image de façade ou encore acheter la paix sociale. Afin d'éviter les faux-semblants et d'agir pour un collectif, non pour des individualités, il convient d'arriver à une solution politique concrète en lieu et place d'un cache-misère. Toute aussi fondamentale soit-elle, l'évolution institutionnelle ne peut prendre de sens qu'avec l'appui d'un projet de société. Celui-ci doit poser des réflexions sur nos réalités et dépasser le simple constat pour apporter des solutions autour des thématiques qui importent chez nous. C'est par ce biais que l'on démontrera qu'une autonomie a un sens et s'avère être la clé pour améliorer les conditions de vie sur notre terre précarisée. Malheureusement, tout cela semble aujourd'hui loin des préoccupations des élus, des médias, et même de la société civile. Cependant, au sein de cette dernière, certains essayent de proposer des idées, d'entamer le débat et d'ouvrir des pistes de réflexion. C'est notamment le cas du livre Manifeste pour une Corse souveraine, de Maì Guillem, paru il y a quelques semaines aux éditions Anima Corsa. Cet essai politique émane de l'inspiration d'un jeune professeur d'histoire-géographie, sympathisant de la cause nationaliste. Son ouvrage s'articule autour du cadre juridique qui serait le plus approprié selon lui, en lien avec un projet de développement économique. Capable d'esprit critique sur le mouvement national et appuyé par des sources, ses écrits démontrent une volonté politique rendant possible la voie de l'autodétermination à l'heure où les espoirs s'amenuisent sous les discours fata1 listes. La rédaction du Ribombu, à l'avant-garde des énergies voulant construire un avenir viable pour les nôtres, est allée à la rencontre de l'auteur pour comprendre ses intentions et le sens de son livre. Ribombu : Maì, votre ouvrage a une approche, il faut l'admettre, originale dans le sens où votre livre se présente presque comme un programme. En ce sens, quelles étaient vos intentions en le rédigeant ? Maì : Lors du décès tragique du militant Yvan Colonna, nous avons pu apercevoir une mobilisation massive de l'ensemble des Insulaires, choqués, à juste titre, par ces événements. Il en a émergé une revendication, plus véhémente que jamais, autour d'une autonomie pour laquelle les Corses avaient majoritairement souscrit lors des derniers scrutins locaux, avec un processus bloqué par Paris. Le drame de mars 2022 a fait resurgir l'injustice de ce déni démocratique et a même provoqué une émulation intellectuelle autour de ce qui est nommé par l'État français la "question corse". Cependant, en dépit des tractations autour d'une évolution institutionnelle pour notre île et du terme "autonomie" employé par le ministre Darmanin — ce qu'il faut bien l'admettre était inédit — aucun projet de société n'a réellement surgi pour présenter une feuille de route sur ce que pourrait être la Corse autonome de demain dans nos thématiques concrètes. Pire, au fur et à mesure des lentes discussions, nous nous sommes rendu compte que l'autonomie proposée ne serait qu'une décentralisation supplémentaire n'accordant au final que peu de compétences réelles et utiles pour agir selon nosbesoins et revendications, et que le terme ne servait qu'à acheter la paix sociale. Ribombu : Donc, selon vous, les élus nationalistes de la Collectivité de Corse font une erreur en acceptant ce dialogue, car cette autonomie ne serait qu'une duperie ? Maì : Selon moi, aucun dialogue n'est inutile, et il faut accepter de discuter avec la représentation nationale dès qu'une occasion le permet. Toutefois, que Paris fasse un pas vers nous pour parler d'autonomie ne signifie pas que nous devons accepter n'importe quoi. Lorsque le président Macron est venu à l'Assemblée de Corse en septembre 2023, il a confirmé les craintes de beaucoup. En avançant des lignes rouges infranchissables, il a démontré que l'État français conservait ses racines jacobines et que la concession à 2 venir ne serait qu'un trompe-l'œil permettant au gouvernement de maintenir les Corses tranquilles. En effet, si Paris n'avait même pas fait semblant de vouloir un changement juridique, s'était montré complètement fermé, de massives manifestations auraient, à terme, contraint l'État à une plus grande concession que les miettes qu'il s'apprête à nous octroyer. Fort de son expérience coloniale, la stratégie élyséenne est subtile, ils sont les maîtres des horloges et, en plus de jouer sans cesse avec l'agenda, le terme autonomie est dévoyé. Que serait une autonomie sans reconnaissance du peuple corse, coofficialité de la langue et statut de résident ? Des mesures qui convainquent même des non-nationalistes. Quant à la possibilité de légiférer, le président Macron était prêt à accepter une autonomie dite "normative", où la loi se serait adaptée par moment, ce qui est assez flou, vous en conviendrez. Le terme d'autonomie peut vouloir tout et ne rien dire. Pour l'heure, ce que permet la Constitution française par son article 74 est insuffisant, et ce n'est même pas ce que prévoyait le gouvernement pour notre cas. Néanmoins, à l'issue de l'intervention du président à Ajaccio, la grande majorité de nos élus nationalistes semblait satisfaite de cette autonomie minimaliste. Certains pensent que toute concession est bonne à prendre, que ce serait mieux que rien. Au contraire, je pense qu'avoir une autonomie officielle en ces termes serait le meilleur moyen pour que les nôtres se relâchent, pensent avoir gagné, et que notre détermination se meure. Alors même qu'une fois cette faible concession cédée, l'État français se présentera comme le camp du compromis, rejettera tout ce qui se passera mal sur le gouvernement "autonome" corse et que nous n'aurions plus rien d'ambitieux pour les cent prochaines années. Mais pour certains de nos élus, il est probablement plus important de se présenter comme ceux ayant donné l'autonomie à la Corse, qu'importe de quelle autonomie il est question. Il fallait saisir l'opportunité en mars-avril 2022, lors des révoltes populaires, et avoir des revendications clés sur lesquelles nous n'aurions pas tergiversé. Ribombu : Selon vous, quelle serait alors la forme d'autonomie la plus viable et efficace ? Maì : Il nous faudrait une nouvelle loi organique conçue spécialement pour la question de l'autonomie de la Corse. Ce qui demande donc une révision constitutionnelle pour outrepasser les limites actuelles afin d'avoir un changement juridique efficace. À terme, l'objectif serait d'arriver à une autono3 mie législative. Il y a plusieurs manières de percevoir celle-ci, et bien que cela puisse sembler ambitieux, cette autonomie ne répond qu’aux votes populaires corses depuis 2015, à notre histoire et à nos spécificités culturelles. Surtout, l'île montagneuse que nous sommes a besoin d’aménagement de la loi pour gérer au mieux nos problématiques. Une économie peut être adaptée à un territoire mais pas à un autre. Cela ne doit pas faire craindre que notre base sociale se réduirait par rapport à la situation actuelle ou qu'une réelle autonomie serait dévoyée par un milieu affairiste. La casse sociale est déjà organisée par le gouvernement, peut-être même que nous pourrions mieux faire sur cet angle précis, et notre projet de société ainsi que les accords d'autonomie avec la France devront prévoir des garde-fous sur ces sujet. D'autant plus que l'autonomie législative telle que je la perçois, bien que devant nous donner à terme la politique intérieure entière de notre île, n'exclut pas des compétences octroyées au fur et à mesure dans une période de transition et des compétences partagées. Enfin, l'État central garderait des prérogatives de notre souveraineté, celles-là mêmes qui justifient que l’on n’a pas encore obtenu de réel statut d’autonomie. Ribombu : Votre vision de la souveraineté est donc celle d'une autonomie législative, mais que répondez-vous à ceux déclamant que ce projet est impossible, que nous sommes déjà dépendants et sous perfusion de la France ? Maì : Justement, nous sommes déjà en situation de dépendance et c'est bien à cause de l'administration française qui gère notre terre depuis des siècles. Certes, nous avons eu la décentralisation mais celle-ci n'est qu'une délégation de compétences sans possibilité d'aménagement. Alors, nous aurions pu gérer bien mieux certaines thématiques, j'en suis d'accord, mais force est d’admettre que pour l'heure les affaires courantes les plus importantes sont toujours du ressort de Paris. Il n'est pas dit que nous ferions mieux autonomes, c'est vrai, mais on peut tout de même nous donner la possibilité de prouver le contraire. D'autant plus que les locaux connaissent souvent mieux la situation insulaire que des technocrates parisiens déconnectés de nos réalités, et que le peuple corse a décidé il y a bientôt 10 ans de vouloir essayer l'épreuve d'une autonomie "de plein droit et de plein exercice", ce qui veut dire totale, loin des ambitions désormais plus modérées de ceux qui déclamaient cela. Enfin, comme dit précédemment, même en cas d'autonomie législative, la France conserverait les domaines régaliens, notre 4 représentation diplomatique et surtout notre Zone économique exclusive ainsi que la base de Solenzara avec les intérêts géopolitiques et économiques que cela suppose. Ce n'est pas pour rien que Paris ne veut pas relâcher son étau sur son héritage colonial dans les territoires ultramarins en dépit de tout ce que cela leur coûterait en argent. À ce sujet, il a été démontré que la Corse n’est pas plus coûteuse que n'importe quelle autre région française dans le rapport entre les dépenses et ce qu'on rapporte au continent. Nous sommes dans la moyenne, loin des discours nous présentant comme des parasites. Donc, les prérogatives que conserverait la France justifieraient des subventions et des mesures comme des commandes publiques privilégiées pour les produits agricoles corses, à inscrire dans un projet de société revitalisant ces derniers. Dans le même ordre d'idées, nous pouvons nous inspirer de ce que fait l'Espagne avec sa communauté autonome basque : une partie de la fiscalité est prélevée par les Basques pour pouvoir eux-mêmes agir dans des domaines concrets grâce aux leviers fiscaux, et une autre partie est prélevée par l'État central, ce qui justifie que des subventions soient toujours pourvues pour la communauté autonome. Nous pourrions faire de même pour continuer à faire fonctionner la solidarité nationale tout en ayant la fiscalité comme compétence octroyée à la Collectivité de Corse. Ce sont des mesures qui permettraient de financer des projets dans une Corse autonome et qui ne sont que des justes retours économiques, du donnantdonnant. Nous avons trop longtemps accepté de donner sans rien avoir en retour, sans compromis gagnant pour les Corses, sans régulation. Il faut désormais changer d'état d'esprit, et je n'aborde même pas la dette historique qu'a l'État français envers le peuple corse entre occupation, exactions, etc., qui justifierait là aussi une juste réparation économique. Ribombu : Sans compter non plus que votre ouvrage avance un projet de société qui parle de financements et qui permettrait une souveraineté juridique mais aussi économique. Maì : Effectivement, pour moi, les processus juridique et économique vont de pair, ils ne sont pas à opposer mais ils sont complémentaires. Certes, sans savoir l'entièreté de ce qui nous sera délégué comme compétences, il est difficile d'établir un programme complet, mais c'est en ayant au moins les grandes lignes directrices d'un projet de société que l'on saura quel type d'autonomie, au minimum, nous devons accepter. Il faut certes réclamer des 5 mesures culturelles indispensables pour conserver notre identité, comme la reconnaissance du peuple, la coofficialité, l'apprentissage obligatoire du corse à l'école, par exemple, etc. Mais il faut que la souveraineté puisse être réelle dans le secteur économique, à l'heure où même les puissances occidentales, comme la France, perdent leur souveraineté. On voit que sur le terrain diplomatique, beaucoup se contentent de n'être que les valets del'hyperpuissance américaine ; au niveau continental, les compétences sont absorbées, loin de tout processus démocratique, par une entité supranationale qui retire des leviers décisionnels, et économiquement, nous sommes en situation de dépendance, incapables de produire quoi que ce soit et devant importer sans cesse. Pour nous Corses, au vu de notre petite démographie dans une superficie réduite, nous devons miser sur une consommation intérieure d'envergure, une balance commerciale en meilleur état que ce que nous pouvons connaître actuellement, pour pouvoir au plus vite produire ce qui est essentiel sur notre sol et dont nous avons les capacités. À moyen terme, nous pouvons et devons obtenir une autonomie alimentaire et énergétique en promouvant une industrie légère en synergie avec ses forces. Ribombu : Dans votre programme, cette production locale, au moins sur ce qui est possible, est la clé de voûte de votre propos. Pourquoi cette souveraineté économique est-elle si importante ? Maì : Nous avons vu avec les crises récentes, comme celle de la Covid et du conflit russo-ukrainien, les problèmes liés à la dépendance aux importations. Depuis l'essor du néolibéralisme, il y a plus d'une quarantaine d'années, les pays européens ont délégué leurs productions aux pays pauvres où le coût de fabrication des marchandises était moins cher, profitant aux grandes entreprises. Ces départs du secteur primaire et secondaire vers les usines du monde ont provoqué une série de problèmes : l'emploi s'est considérablement réduit dans les territoires perdants de cette mondialisation, bien qu'en Corse nous n'ayons jamais réellement eu d’industries ; la concurrence des marchandises agricoles produites à bas coûts n'a certainement pas aidé nos producteurs locaux. Les importations nous ont installés dans une situation de dépendance, rendant le pays assujetti à du chantage éventuel ou à la moindre crise mondiale qui ne nous concernait pas initialement, et provoquant même de l'inflation alors que le libre-échange devait casser les prix. Casser les prix, mais avec des conséquences énormes sur les 6 coûts éthiques, avec des normes de fabrication plus que contestables dans bien des secteurs, et une qualité laissant à désirer. Les balances commerciales sont devenues largement déficitaires, empêchant le financement de certains projets. Enfin, cette délocalisation systématique de la production et la concurrence déloyale imposée au sein même de l'UE et au-delà (l’UE étant la région du monde se protégeant le moins) multiplie les échanges commerciaux et le désastre climatique, alors même que l'enjeu écologique est le grand défi de notre génération. Ribombu : Pour pallier à cela, votre projet de société est assez dense, avec des propositions complétant d'autres mesures qui pouvaient contenir initialement des lacunes. Nous pouvons notamment penser au protectionnisme. Cette mesure peut inquiéter. Avons-nous des productions à protéger en Corse et cela ne risque-t-il pas de faire monter les prix ou de provoquer l'autarcie comme certains le craignent ? Maì : Le projet que je porte ne prône aucunement l'autarcie. On l'a bien vu lorsque j'ai présenté mon programme juridique, qui est fait de compromis. Il en est de même pour l'économie, avec un projet prenant en compte l'application des lois françaises sur notre sol depuis des siècles, nos réalités, nos besoins, mais il faut aussi penser à nos potentialités. Le programme que j'avance n'est qu'une ébauche dans le sens où je ne suis pas exhaustif sur toutes mes pensées politiques, et je laisse le soin à des spécialistes des domaines concernés, mais aussi à la société civile qui a son mot à dire, de compléter mes propositions et de les chiffrer. Cependant, dans les grandes idées que j'avance afin d'ouvrir le débat, je pense qu'il est de bon ton d'avoir des axes de travail bien définis. Ce qui passe par une souveraineté économique, comme je l'ai déclaré, mais mettant à contribution tous les acteurs pour que cela soit possible. Le protectionnisme seul, c’est-à-dire dans un régime capitaliste sans régulation, mise sur une baisse des acquis sociaux pour que le pays résiste à la compétitivité mondiale, que ce modèle accepte de facto. Ce qui conduira à une perte de normes essentielles avec ce nivellement par le bas et à une diminution du niveau de vie des habitants. Alors même que cela ne garantit aucunement, en parallèle, que cela suffira à reproduire localement les productions à notre époque de mondialisation, où il y a toujours moins cher ailleurs pour les entreprises prédatrices. Ce protectionnisme permettrait tout de même une relocalisation grâce aux taxes, 7 mais cela serait lié à une destruction des protections sociales, et c'est donc un protectionnisme dont nous ne voulons pas, par la violence sociale supposée, et qui en plus ne garantit pas de juguler l'inflation avec certains produits qui devront continuer à être importés, car non produits localement, et qui subiront des taxes faisant monter leurs prix. Nous voulons de notre côté un protectionnisme ciblé sur nos besoins et selon ce qu’on peut produire, pour justement maintenir, voire élever des normes, en refusant le cadre mondial déloyal. Certes, il y aura une inflation, mais en produisant localement par la protection, l'offre gonflera, rendant possible le développement de secteurs productifs, et réduira les prix, tout comme l'importation qui perdurera et restera un garde-fou aux envolées de prix. Ensuite, on pourra relancer les salaires, car on ne sera plus aligné sur la compétitivité d'autres pays, et les gens pourront consommer plus cher, des coûts plus élevés, logique car issus de la qualité du local. Pour éviter la spirale inflationniste, le contrôle des prix sera imposé sur la marge des intermédiaires comme les grandes surfaces. Nous pouvons aussi penser à une fiscalité plus juste et à des subventions ciblées aux PME-TPE afin qu’elles ne répercutent pas sur le prix. Voilà un programme cohérent où toutes les mesures s'emboîtent avec complémentarité. Un protectionnisme seul provoquerait inflation et pénuries. Une relance seule aussi, car pour contrebalancer une hausse des acquis dans un marché compétitif, on licencierait, délocaliserait, ferait monter les prix ou ferait faillite. Pour éviter tout cela, il nous faut le protectionnisme et une relance avec quelques autres mesures qui ne seront pas en trop. Ribombu : Votre projet parle également d’unités d’assemblage, d’unités de valorisation des déchets, des énergies renouvelables, de mesures contraignantes pour les multinationales, de modernisation du système hydraulique, etc. Nous ne pourrons pas tout aborder, mais certaines mesures, comme le statut de résident ou la corsisation des emplois, ne risquent-elles pas d’être perçues comme discriminantes par l’État central ? Maì : C’est la rengaine habituelle. Cependant, ce sont les mesures identiques appliquées dans des situations pourtant différentes, comme c’est le cas chez nous, qui sont réellement discriminantes. D’autant plus que les mesures que vous avez citées s’appliqueraient, dans mon esprit, à tous ceux vivant à l’année sur notre île (avec une ancienneté exigée pour le statut de résident), sans distinction d’origine. Ce qui fait sens avec notre nationalisme 8 culturel : c’est même par le travail et la langue que nous pouvons intégrer et créer des Corses. En l’état, c’est laisser les choses telles qu’elles sont qui induit une politique discriminatoire où nous avons des revenus moins élevés qu’en métropole, une pauvreté plus forte, et des postes à responsabilités qui échouent à des continentaux. Ce sont bien ces derniers qui, souvent, grâce à un patrimoine plus élevé et la complaisance de traîtres à leur terre, peuvent s’approprier le parc immobilier corse, rejetant les locaux de celui-ci. Nous sommes, par bien des aspects, dans un cadre de discriminations coloniales, bien que ce soit subtil car aucune différenciation ne se retrouve dans la loi, alors qu’on la subit dans le réel. Pour lutter contre ces injustices, nous devons adopter certaines mesures fortes, qui ne résoudront pas tout mais qui représentent un début, et qui sont loin de perceptions stupidement ethniques comme il peut en exister dans l’extrême-droite française et chez certains perroquets locaux se teintant faussement d’un nationalisme qui est alors dévoyé. Ribombu : Tout ce processus devrait passer par une union au sein du mouvement national ? Maì : L’union permet d’agir plus rapidement et efficacement contre les réels adversaires d’une quelconque avancée institutionnelle. Cependant, l’union pour l’union, juste pour la symbolique mais faite de compromis à outrance par peur de vexer qui que ce soit, n’aurait pas de sens. L’union doit se faire autour d’un projet cohérent, et on voit que dans la famille nationaliste, bien que ce soit camouflé, il n’y a pas toujours les mêmes perceptions. Sans même parler d’idéologie, mon projet porte une part assez significative de régulation, car je pense que la “chose publique”, encore plus en ces temps troubles, doit réguler. Ce n’est pas au marché de dicter sa loi, et notre nationalisme, dans son essence, ne peut qu’être en accord avec cela, avec des mesures qui supposent une intervention publique lorsqu’on parle de freiner la spéculation immobilière ou le tourisme de masse, par exemple. Cependant, certains des nôtres sont clairement libéraux, et c’est leur droit, mais je ne pense pas qu’au vu de la situation actuelle ce soit l’axe le plus adéquat, surtout lorsqu’on voit les résultats du libéralisme à outrance depuis le milieu des années 70 à nos jours. Quand bien même une union n’aurait pas lieu, le parti qui se retrouverait au pouvoir dans une Corse autonome devra, dans un premier temps, ne pas être trop clivant idéologiquement et promouvoir9 un programme commun capable d’attirer une adhésion large auprès des Corses. Cependant, il ne faudra pas être tiède pour changer le cours des événements et nous devons trancher dans des directions avec des lignes bien définies, ce que je m’efforce de faire à mon humble échelle. Ribombu : Pour conclure, vous le savez, nous sommes des indépendantistes. Dans votre projet, où se place le processus d’autodétermination ? Maì : L’autodétermination est un fondement auquel tout peuple a le droit d’aspirer. Tout tend à démontrer que nous sommes un peuple à part entière, avec nos frontières géographiques bien définies, qui imposent un certain particularisme, une longue et riche histoire commune et une culture singulière qui apporte sa pierre à l’édifice culturel mondial. Maintenant, je reste persuadé que nous avons d’abord besoin d’une autonomie comme première étape, transitoire, pour aspirer à un développement économique. L’autonomie est l’arme juridique, l’outil législatif, que l’on juge fondamental pour enclencher les leviers d’émancipation. À terme, si tout se déroule comme prévu grâce à un projet de société solide et cohérent, nous ne pourrons qu’aspirer à retrouver ce qui nous a été arraché par la force : l’indépendance. 10

Emprise mafieuse : la pieuvre bleu blanc rouge (#172)

De tous temps l’attitude de l’Etat français à l’égard du trafic de drogue a été ambivalente. Il n’est nul besoin de remonter aux guerres de l’opium du 19ème siècle où la France, en toute logique coloniale, s’employa aux côtés de ses alliés du moment, à créer militairement  les conditions optimales pour que la production et la diffusion de la substance,  à des fins tout autres que thérapeutiques, prissent leur plein essor. (1) Plus près de nous, en 1993, on pouvait découvrir dans un article du Journal International de Médecine (2), intitulé « Drogue: les États complices » comment de véritables « barons de la drogue » étaient reçus officiellement en grande pompe par la France. Dans une interview Alain Labrousse, Directeur de l’Observatoire Géopolitique des Drogues (3), livrait ces informations: « Le Pakistan est encore le grand pourvoyeur de l’Europe en héroïne à travers la route des Balkans... Tout le monde sait qu’une partie du pouvoir politique actuel au Pakistan est compromis dans le trafic de drogue. Il y a au moins trois ministres et cinq députés qui sont des grands barons de l’héroïne. Leurs noms figurent dans des rapports confidentiels, américains en particulier. Or Monsieur Nawaf Chariff, Premier Ministre, est venu en visite officielle en France en janvier... la question de la drogue n’a pas été mise à l’ordre du jour ». Alain Labrousse devrait d’ailleurs préciser plus tard, à ce sujet, que la vente de sous marins français au Pakistan constituait, selon lui, un exemple de blanchiment de l’argent de la drogue au plus haut niveau des États. En attendant, il déclarait notamment: «  En France, on aura bientôt des scandales où la justice et le pouvoir politique seront pénétrés, infiltrés par les trafiquants. Or, avoir des groupes mafieux infiltrés à tous les niveaux de l’Etat, c’est extrêmement grave ». En plus de trente ans, depuis ces affirmations, la situation n’a fait que s’aggraver même si - la société française étant de plus en plus délibérément cloisonnée - cela peut rester partiellement caché; ce, soit dit au passage, qu’une société de proximité où existe un lien social naturel comme en Corse, où « tout le monde connaît tout le monde », ne permet pas. Dès lors, l’incessant procès fait à cette proximité nous apparaît aujourd’hui pour ce qu’il est vraiment: un argument en faveur de la mise au pas de tout un peuple qui refuse de disparaître, plus qu’une piste de réflexion réelle pour résoudre nos problèmes. En Corse dans les années 80, alors que le mouvement de libération nationale, dans toutes ses composantes, alertait l’opinion et entamait une lutte âpre contre le trafic de drogue, les instances officielles en niaient l’importance. Pourtant, paradoxalement, en 1985 une affaire défraya la chronique, mettant en évidence la parfaite connaissance du problème par les autorités, et, surtout la manière dont elles pensaient s’en servir. Deux officiers de police, Robert Montoya et Fabien Caldironi travaillant en étroite collaboration avec le juge Frédéric N’Guyen, furent inquiétés pour leur participation présumée à un trafic de stupéfiants. Officiellement, ils étaient censés infiltrer un réseau de trafiquants. En réalité, tout en favorisant un trafic qui leur rapportait des bénéfices substantiels, leur principal objectif semblait bien de participer activement à l’intoxication de la jeunesse corse et à recueillir par le biais d’informateurs toxicomanes des éléments sur les activités politiques des jeunes militants nationalistes. Un certain nombre de débordements et d’imprudences, ainsi que la découverte par le mouvement national de leurs agissements, mirent fin à  cet épisode. Brièvement incarcérés en mars 1988, pour « infraction à la législation sur les stupéfiants », ils furent opportunément disculpés assez rapidement. On devait retrouver ces deux protagonistes mêlés à d’autres affaires éclairantes quant à leur statut particulier, notamment lors du scandale des plombiers du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Robert Montoya et Fabien Caldironi furent impliqués dans cette rocambolesque histoire d'écoutes téléphoniques visant un huissier du CSM. À l’époque, malgré leurs dénégations, de nombreux observateurs les soupçonnaient d’avoir agi sur ordre de Christian Prouteau, chef de la cellule antiterroriste de l’Elysée. Il faut savoir que dès la création de cette cellule, en 1982, le commandant Prouteau, cherchant des connaisseurs de la question corse, avait fait appel à leurs services. L'ex-capitaine Paul Barril, aurait d’ailleurs confié que  "Montoya était un excellent informateur de la cellule. Il savait beaucoup de choses sur la Corse... ». Retraité de la gendarmerie avec le grade d’adjudant, on devait retrouver Robert Montoya en Afrique comme conseiller de Laurent Gbagbo, et à la tête de sociétés employant près de 2500 personnes dans sept pays africains. En 1998, un rapport de l'ONU indiquait que Robert Montoya avait probablement recruté quelques 300 mercenaires pour assurer, dans l'ex-Zaïre, la protection du maréchal Mobutu. Il avait également fondé la Société africaine de sécurité (SAS), une entreprise de droit togolais spécialisée dans la sécurité, le gardiennage et le transport de fonds. En décembre 2005, il fut interrogé par la police togolaise, et les locaux de sa société de sécurité privée, située sur l'aéroport de Lomé, furent perquisitionnés. Il avait alors été accusé de trafic d’armes par le ministre de la défense togolais, Kpatcha Ngnassingbé lui-même. La même année, les experts des Nations unies signalaient que « les deux tiers des marchés militaires de la Côte d'Ivoire entre 2002 et 2004 » avaient  « transité par la Darkwood », une société fondée par Robert Montoya.(4) Il ne s’agit là que d’un exemple quelque peu anecdotique, parmi tant d’autres, mais qui démontre bien que les Corses ont tout intérêt à trouver avant tout en eux-mêmes la force et la méthode qui leur permettront de solutionner les problèmes qui se posent à eux, aussi sensibles soient-ils. Si l’on additionne tous les coups tordus, notamment les opérations barbouzardes, tous les contacts occultes, ainsi que le recours à des malfrats de tout poil pour neutraliser le mouvement national corse, jusqu’aux options les plus radicales à l’encontre de ses militants, si l’on tient compte de la complaisance des pouvoirs public concernant certains dossiers où spéculation, monopoles privés et blanchiment d’argent sale font bon ménage avec des autorisations officielles émanant des plus hautes sphères de l’Etat, quelques conclusions s’imposent: Tous les observateurs un tant soit peu objectifs, s’accordent à dire que l’Etat français a privilégié la chasse aux nationalistes corses, laissant prospérer une voyoucratie de plus en plus florissante. Ce qu’on omet de dire, c’est que l’Etat a toujours utilisé ce que, pour le coup, on ne devrait pas avoir peur de désigner comme ses réseaux mafieux, aux quatre coins de son empire colonial, dont la Corse, lorsqu’il s’agit de défendre certains intérêts. Et curieusement, on parle de mafia corse, tout en n’admettant pas que les Corses soient un peuple, mais on ne parle jamais de mafia française. Pourtant les Corses qui participent à des opérations criminelles, ne le font jamais pour servir les intérêts de leur pays mais plutôt, souvent, ceux des consortiums ou des spéculateurs auxquels le législateur français fait la part belle. Quant aux circuits de blanchiment de l’argent du crime, et notamment du trafic de drogue, ils empruntent des chemins qui se situent le plus souvent à l’étranger, et plus particulièrement en France. Quand les Corses demandent des mesures spécifiques pour contrecarrer ces logiques (5), et extraire durablement le corps social des pressions mafieuses, tout leur est interdit. Par contre des dispositifs répressifs exceptionnels, sur fond de diabolisation de cette proximité qui forge notre lien social et culturel, eux, sont à l’ordre du jour. Et l’Etat français, parrain de tous les parrains, se voit décerner un blanc seing... pour régler ses affaires de famille sans doute. Et pour utiliser, comme bon lui semblera, un arsenal judiciaro-policier qui, on nous le promet, ne servira aucun objectif politique et nous garantira contre l’arbitraire auquel nous sommes malheureusement habitués: les promesses, pour paraphraser un ancien ministre de l’intérieur français, n’engagent toutefois que ceux qui y croient. Lorsqu’on met bout à bout tous ces éléments, on s’aperçoit qu’au delà de querelles sémantiques subalternes, si l’on veut combattre réellement l’emprise mafieuse en Corse, il serait pertinent de ne pas oublier que la pieuvre est beaucoup plus bleu blanc rouge qu’on veut bien nous le dire. 1. un article édifiant sur les conséquences des guerres de l’opium est à retrouver via internet sur le site « village de la justice », intitulé « Quand la France vendait l’opium Indochine française » (par Vincent Ricouleau, professeur de droit - 19/09/2017, modifié le 02/06/2023). 2. JIM numéro 252, février 1993, « Drogue, les Etats complices ». 3. En décembre 1992, le Docteur Jean Claude Dominici était mandaté par l’Associu Corsu di a Salute pour assister au colloque organisé par l’Observatoire Géopolitique des Drogues à l’Arche de La Défense à Paris. Son travail incessant et ses contributions au service de la Corse sont ici à souligner. 4. Se référer, entre autres, à l’article paru dans le journal Le Monde/Afrique/(10.01.2006) sous le titre: « Robert Montoya, un plombier en Afrique). 5. Cf. Conférence de presse du mouvement Nazione du 06/03/2025.
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