On a beaucoup critiqué, ces derniers temps, les débats organisés quotidiennement sur les chaînes d’information continue. Et il est vrai que, bien souvent, la tranquille arrogance de nos toutologues patentés a quelque chose d’agaçant qui nous pousse irrépressiblement à changer de chaîne. Tout particulièrement lorsqu’ils dissertent doctement sur un sujet que nous connaissons quelque peu – comme la situation de la Corse –, et qui nous permet de mesurer instantanément l’étendue de leur ignorance.
Pourtant, il peut nous arriver d’être agréablement surpris. Ainsi, il y a quelques jours sur CNews, Alain Bauer (professeur au CNAM et spécialiste des questions de sécurité) était invité à parler de la Corse et à commenter cette assertion répétée ad nauseam depuis des semaines : la jeunesse corse est manipulée. Contre toute attente, il devait affirmer clairement, fort de son expertise et des renseignements à sa disposition, qu’en fait les jeunes corses n’obéissaient qu’à eux-mêmes lorsqu’ils se soulevaient dans les rues de Bastia ou d’Ajaccio. Non, ils n’étaient manipulés ni contrôlés par personne… Ah bon ? On imagine la perplexité générale provoquée par ces mots venant contredire ce qui était jusqu’alors universellement considéré comme une évidence.
“ Quoi que l’on puisse en penser et quelles que soient les craintes que suscite la situation présente, force est de constater que ce sont bien les jeunes qui l’ont créée et qui ont contraint l’Etat français à cesser d’ignorer la Corse et le suffrage universel. “
Ce qu’il y a de plus consternant, c’est que les chroniqueurs parisiens du dimanche ne sont pas les seuls à adhérer à ce genre de discours ineptes. En Corse même, d’aucuns croient voir dans l’action de la jeunesse la main invisible de mystérieux manipulateurs. Comme quoi, le complotisme est parfois du côté de la plus pure expression du politiquement correct.
Pour penser cela, il faut ne pas avoir soi-même été jeune (« esse natu vechju »), ou bien avoir vécu une jeunesse de légume manipulable, que le père conduisait à l’isoloir pour donner sa voix, en toute docilité, à un chef de parti désigné au titre de l’autorité parentale. Personnellement, j’en connais quelques-uns de ma génération qui furent dans ce cas. Certains sont même aujourd’hui devenus autonomistes : le clan et le clientélisme mènent à tout, à condition bien sûr d’en sortir, quitte à y retourner sous une autre forme…
Toujours est-il qu’au moment où la situation corse semblait tout à fait bloquée, le sursaut est venu de notre jeunesse, et celle-ci en a choisi la voie en toute souveraineté. D’ailleurs, aucun courant, qu’il soit autonomiste ou indépendantiste, ne préconisait les batailles de rues, les premiers ayant opté pour une attitude de conciliation – pour ne pas dire davantage –, les seconds en appelant à la désobéissance civile et à la mobilisation populaire. Quoi que l’on puisse en penser et quelles que soient les craintes que suscite la situation présente, force est de constater que ce sont bien les jeunes qui l’ont créée et qui ont contraint l’Etat français à cesser d’ignorer la Corse et le suffrage universel.
À présent, il appartient aux élus, aux mouvements politiques et aux syndicats de prendre leurs responsabilités, non pas à la place des jeunes corses mais auprès d’eux, pour imposer enfin à Paris la mise en œuvre d’une solution politique.
Tenter de faire croire que le salut pourrait venir de la bienveillance hexagonale ou des appels répétés et larmoyants au dialogue relèverait, pour le coup, d’une tentative de… manipulation.
Jean-Guy Talamoni