“Indépendantiste” da Jean-Guy Talamoni
En ces temps politiques, confus à maints égards, les choses les plus simples méritent d’être précisées. Ainsi, ces derniers mois, l’interpellation suivante m’a-t-elle souvent été adressée : « Que signifie, aujourd’hui, être indépendantiste corse ? » L’idée d’autonomie ayant conquis une large partie de la droite et de la gauche insulaires – sans pour autant, du reste, provoquer la moindre évolution de la position parisienne -, elle est devenue une sorte d’évidence théorique, peu destinée cependant, du moins à court terme, à être mise en pratique… L’indépendance paraît être une option plus audacieuse. Mais au fond, devant l’incapacité de l’Etat jacobin à se réformer, ne constitue-t-elle pas désormais la voie la plus praticable ? Laissons pour l’heure cette question ouverte. Ce n’est pas précisément la problématique que je traiterai dans les lignes qui suivent, mais celle de la justification historique et politique de la position indépendantiste corse…
“Si je suis indépendantiste et non autonomiste ou régionaliste, c’est parce que j’ai la conviction que notre souveraineté est inaliénable et qu’elle n’a pu être confisquée par aucun autre pays.“
La Corse est – cela me semble évident depuis mon enfance – un pays à part entière, une nation de droit naturel, avec son territoire aux limites peu discutables, sa langue, sa culture, son imaginaire. S’agissant de ce dernier, quatre cents ans de domination de la Sérénissime n’ont pas atténué l’opposition entre les mentalités corse et génoise. Les publications polémiques opposant les responsables des deux camps durant la Révolution du XVIIIe siècle le montrent parfaitement : par-delà la haine et la mauvaise foi inhérentes à ce genre de situations, on constate une profonde incompréhension réciproque, une confrontation entre deux systèmes de valeurs. Les Génois se moquaient de la pauvreté des Corses. Les Corses méprisaient l’esprit de lucre des Génois et leurs maigres qualités guerrières… Bien entendu, de part et d’autre, ces appréciations n’avaient rien d’objectif : il s’agissait uniquement de représentations, mais l’on sait que les représentations finissent souvent par s’imposer dans le monde réel. Quant aux deux cent cinquante ans de présence française, l’acculturation à l’œuvre n’a pas permis d’effacer une spécificité corse souvent vue, du reste, de façon très négative de l’autre côté de la mer. La rémanence de cette personnalité nationale fait que notre droit à l’indépendance demeure parfaitement d’actualité. Ce droit a été défendu par les armes, et ce jusqu’en ce début de XXIe siècle. Il continue à l’être, aujourd’hui, par différents moyens. Car la perte de notre souveraineté est exclusivement due à l’annexion française par le fer et le feu. C’est une situation de fait et non de droit. Elle nous a été imposée.
Si je suis indépendantiste, c’est parce que je ne considère pas cette situation de fait comme irréversible. C’est parce que je n’accepte pas que la Corse ait pu être amputée de sa souveraineté, donc de son droit à choisir ses interdépendances. Je n’accepte pas que l’on nous ait interdit, de fait, toute relation culturelle ou économique avec le monde italique. Je n’accepte pas que notre rapport au sud de la Méditerranée ait été réduit à une participation à « l’aventure » coloniale française. Les Marocains, Algériens, Tunisiens, avaient vécu la même agression que nous, avec un décalage de quelques décennies. Par quel revirement de l’histoire pouvions-nous être du côté de l’agresseur commun ?
Si je suis indépendantiste, c’est parce que je considère que la disparition de la nation corse n’a rien d’inéluctable. C’est parce que cette nation vit dans nos pensées, dans nos mots, dans nos livres, dans nos gestes les plus prosaïques comme dans nos déclarations solennelles. Dans la mémoire de nos anciens comme dans les balbutiements de nos enfants. Parce qu’elle est encore une réalité et que notre devoir est de la préserver et de continuer à la faire vivre. Si je suis indépendantiste, ce n’est nullement par haine de la France – dont j’admire la culture – mais par amour de la Corse. C’est parce que la Corse ne sera jamais une région ou une province. Si elle abdiquait sa vocation nationale, elle renoncerait à être.
Si je suis indépendantiste, ce n’est pas par esprit passéiste mais parce que je suis convaincu que sur les plans économique, social, culturel, politique, l’indépendance correspond aux besoins des Corses d’aujourd’hui.
Si je suis indépendantiste, c’est parce que je crois que la Corse a encore des choses à dire à l’Europe et au monde. Citoyens européens, nous devons l’être, comme nos amis Catalans ou Ecossais, par notre choix propre et non par une décision étrangère.
Si je suis indépendantiste et non autonomiste ou régionaliste, c’est parce que j’ai la conviction que notre souveraineté est inaliénable et qu’elle n’a pu être confisquée par aucun autre pays.
Parce que je suis indépendantiste, j’estime que c’est nous faire injure que de nous « concéder » quelque droit que ce soit. Nos droits, nous les tenons de l’ordre naturel et nous attendons simplement qu’ils soient reconnus par tous ceux qui prétendent être traités en amis. Parce que je ne suis pas autonomiste, je n’ai jamais pénétré un ministère parisien avec l’espoir d’un début d’« émancipation », car je ne me considérais pas comme l’un des représentants d’un « peuple enfant ». Toute avancée politique éventuelle, quelle que soit son ampleur, doit être replacée à travers notre volonté collective dans une perspective de souveraineté pleine et entière.
Parce que je suis indépendantiste, et quoi qu’ayant toujours été ouvert au dialogue, je n’ai jamais envisagé un instant de reconnaître l’arbitrage de la force injuste ayant accablé notre pays au XVIIIe siècle.
Parce qu’être indépendantiste, c’est contester résolument le moindre droit pérenne sur la terre de Corse au bénéfice d’une entité étrangère. C’est, à mon sens, en gardant tout cela à l’esprit qu’un indépendantiste pourra envisager, demain, un réel dialogue avec Paris.