“Question de légitimité” da Jean-Guy Talamoni

L’intervention du FLNC dans le débat public, par deux fois ces dernières semaines, a été largement commentée. Sur un plan purement pratique, dans la lourde affaire d’urbanisme de Capu di Fenu, force est de constater que l’action des clandestins a eu pour effet de sortir de leur torpeur les autorités administratives et judiciaires françaises. Celles-ci, se souvenant brusquement qu’elles ont théoriquement la charge de faire appliquer leurs règles de droit, ont annoncé qu’elles allaient se préoccuper de la question. Même si on peut le regretter, on constate que les délibérations unanimes de l’Assemblée de Corse n’ont jamais eu un tel effet. « En même temps », comme dirait quelqu’un, on ne manque pas d’activer les habituels moyens répressifs à travers l’ouverture d’une enquête par le parquet dit « antiterroriste ». De façon plus générale, l’analyse publiée par les clandestins n’a pas donné lieu à polémique, étant difficilement contestable s’agissant du fond politique. Nous ne nous livrerons pas ici à une exégèse des deux communiqués et encore moins à un commentaire sur la reprise des activités militaires, laquelle relève de l’appréciation du seul FLNC. Se trouvant en première ligne, ses militants ont certainement davantage besoin de solidarité que de conseils. En revanche, nous évoquerons la question de la légitimité. Dans une situation normale, dans un pays où le fait démocratique est respecté et où les droits nationaux sont librement exercés par le peuple, le suffrage universel constitue évidemment la source principale de légitimité. Le contexte historique corse est tout autre : depuis des dizaines d’années, les quelques avancées concédées par Paris ne l’ont été que sous l’effet du rapport de force établi par la lutte clandestine. « Depuis des dizaines d’années, les quelques avancées concédées par Paris ne l’ont été que sous l’effet du rapport de force établi par la lutte clandestine.» En effet, les quelques tentatives électorales des autonomistes dans les années 1970 s’étaient traduites par des échecs retentissants, et souvent humiliants du fait de la puissance et de l’arrogance des élus d’alors. Ces derniers réalisaient régulièrement des résultats écrasants, amplifiés du reste par la fraude. Seule la lutte la plus ferme a permis de changer les choses : Si le Riacquistu des années 70 avait été désarmé, il aurait été considéré par Paris comme l’ultime soubresaut folklorique d’une identité condamnée. C’est cette lutte de quatre décennies qui a permis au peuple corse de demeurer une réalité vivante et aux nationalistes, dans leur diversité, de voir leur audience s’accroître y compris sur le terrain électoral. Sauf à être de la plus parfaite mauvaise foi, chacun ne peut que reconnaître que sans le combat clandestin il n’aurait pas même été question d’un statut particulier. À ceux qui ont la mémoire courte, il suffit de relire les comptes rendus des débats parlementaires de 1982 pour s’en souvenir. Aussi, il ne serait pas honnête – intellectuellement et politiquement – de considérer que les élus actuels ne tiennent leur mandat que de la dernière élection. Sans la décision du FLNC en date de juin 2014, il n’y aurait pas eu l’union qui permit la victoire de décembre 2015, ainsi que les résultats électoraux enregistrés depuis. Mais si l’on remonte plus loin, on est bien obligé d’admettre que sans l’action du FLNC, il n’y aurait aujourd’hui ni Assemblée de Corse ni Conseil exécutif. La légitimité électorale actuelle est née d’une situation créée par d’autres moyens que les élections. C’est ce que le FLNC a rappelé en s’invitant dans le débat : dans un pays comme le nôtre qui a connu des dizaines d’années de luttes et de sacrifices, il existe une autre forme de légitimité, une légitimité première, celle dont il est le détenteur. Jean-Guy Talamoni « La légitimité électorale actuelle est née d’une situation créée par d’autres moyens que les élections. C’est ce que le FLNC a rappelé en s’invitant dans le débat : dans un pays comme le nôtre qui a connu des dizaines d’années de luttes et de sacrifices, il existe une autre forme de légitimité, une légitimité première, celle dont il est le détenteur. »

De nouvelles pages à écrire da Jean-Guy Talamoni

« Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique ». Ces mots de Charles Péguy sont assurément pessimistes. Ils ont toutefois le mérite de nous mettre en garde contre les dangers de certaines dérives. Ce n’est pas sans quelque perplexité que j’ai observé le déroulement de la fameuse « affaire » du syndicat d’énergie. Non pas en raison de son résultat (provisoire), qui ne paraît pas de nature à marquer l’histoire de la Corse, mais plutôt du décalage entre son enjeu politique, modeste a priori, et le niveau d’engagement – et de motivation – des protagonistes de cette guerre picrocholine, parmi lesquels on trouve d’éminents dirigeants nationalistes… Il n’est pas question ici de verser dans la démagogie. Nous savons tous que l’exercice des responsabilités conduit nécessairement à s’intéresser de près à des problématiques techniques peu en rapport avec les aspirations de militants qui entendaient – il y a quelque temps encore – « écrire l’histoire ». (Les serments de 2015 et de 2018 n’en témoignent-ils pas ?). Mais dans ce cas, peut-on sérieusement penser que la problématique technique dont il s’agit a été traitée sous le seul angle de l’intérêt public ? Sans verser dans le procès d’intention, on peut sérieusement en douter. Pour le reste, l’été s’est déroulé comme prévu… par Paris. Le pourcentage conséquent de suffrages recueillis par le mouvement national dans son ensemble n’a apparemment pas empêché les responsables hexagonaux de dormir sur leurs deux oreilles. D’autant que la part la plus importante a été obtenue par le courant dit « modéré ». « Face au déni de démocratie, nous avons manqué des occasions d’affirmer, solennellement, ensemble, notre refus d’être traités comme les élus locaux d’une simple région française de droit commun. » Aux appels – renouvelés et sans effet – au « dialogue » (appels que l’on compte désormais par milliers depuis la victoire électorale de 2015), le gouvernement français répond, quand il en a le temps, par les mêmes formules désinvoltes : « Bien sûr, d’ailleurs nous dialoguons déjà, depuis des années, avec les élus locaux de l’île ! ». Circulez, rien à voir… Il n’en demeure pas moins qu’entre les deux stratégies qui étaient proposées aux Corses durant la campagne électorale de juin dernier, les électeurs ont choisi. Il est probable que si une liste et un programme d’union leur avait été proposés, il les auraient approuvés. Tel n’a pas été le cas. Aussi, la majorité actuelle, monocolore, a-t-elle indiscutablement la charge d’appliquer son programme de gestion. Pour notre part, nous avons la faiblesse de penser que la stratégie de fermeté à l’égard de Paris, celle que nous préconisions, était la bonne. En tant que démocrates, nous prenons acte du résultat des élections, sans croire cependant, un seul instant, que les choses s’amélioreront dans les mois à venir par l’effet de la bienveillance parisienne. Car si l’histoire nous enseigne quelque chose, c’est bien que les dirigeants français n’ont jamais rien cédé, dans aucun lieu placé sous leur tutelle, en l’absence d’un rapport de force. Toutefois, ce dont nous sommes convaincus, c’est que le peuple corse n’acceptera pas longtemps l’état de léthargie dans lequel on le conduit actuellement. Dans les années soixante-dix, le sommeil était profond et mortifère. Les électeurs votaient massivement pour les partis français qui travaillaient à notre disparition en tant que communauté originale. Ce fut à ce moment-là – l’anniversaire d’Aleria nous le rappelait récemment – que des éveilleurs de la conscience nationale ont provoqué le miracle du Riacquistu et, événement déterminant, la création du FLNC. Quatre dizaines d’années de lutte ont permis de faire en sorte que nous soyons toujours là aujourd’hui, avec notre langue, notre culture, notre art d’être au monde. Cela constitue une victoire en soi, mais rien n’est jamais acquis. En 2015, puis en 2017, nous avons cru que les choses iraient plus vite. Des erreurs, voire des fautes ont été commises. Il ne sert à rien de pointer du doigt les uns ou les autres. Les femmes et les hommes ont toutes et tous leur part de sincérité. Il convient de donner inlassablement à chacun l’occasion d’offrir le meilleur de lui-même. De se comporter résolument en éveilleur – et non en anesthésiste – de la conscience nationale. Pour cela, préparons-nous dès à présent à écrire ensemble de nouvelles pages, radieuses, de notre histoire commune. Jean-Guy Talamoni
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