« Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique ».
Ces mots de Charles Péguy sont assurément pessimistes. Ils ont toutefois le mérite de nous mettre en garde contre les dangers de certaines dérives.
Ce n’est pas sans quelque perplexité que j’ai observé le déroulement de la fameuse « affaire » du syndicat d’énergie.
Non pas en raison de son résultat (provisoire), qui ne paraît pas de nature à marquer l’histoire de la Corse, mais plutôt du décalage entre son enjeu politique, modeste a priori, et le niveau d’engagement – et de motivation – des protagonistes de cette guerre picrocholine, parmi lesquels on trouve d’éminents dirigeants nationalistes…
Il n’est pas question ici de verser dans la démagogie.
Nous savons tous que l’exercice des responsabilités conduit nécessairement à s’intéresser de près à des problématiques techniques peu en rapport avec les aspirations de militants qui entendaient – il y a quelque temps encore – « écrire l’histoire ». (Les serments de 2015 et de 2018 n’en témoignent-ils pas ?).
Mais dans ce cas, peut-on sérieusement penser que la problématique technique dont il s’agit a été traitée sous le seul angle de l’intérêt public ? Sans verser dans le procès d’intention, on peut sérieusement en douter.
Pour le reste, l’été s’est déroulé comme prévu… par Paris.
Le pourcentage conséquent de suffrages recueillis par le mouvement national dans son ensemble n’a apparemment pas empêché les responsables hexagonaux de dormir sur leurs deux oreilles. D’autant que la part la plus importante a été obtenue par le courant dit « modéré ».
« Face au déni de démocratie, nous avons manqué des occasions d’affirmer, solennellement, ensemble, notre refus d’être traités comme les élus locaux d’une simple région française de droit commun. »
Aux appels – renouvelés et sans effet – au « dialogue » (appels que l’on compte désormais par milliers depuis la victoire électorale de 2015), le gouvernement français répond, quand il en a le temps, par les mêmes formules désinvoltes : « Bien sûr, d’ailleurs nous dialoguons déjà, depuis des années, avec les élus locaux de l’île ! ». Circulez, rien à voir…
Il n’en demeure pas moins qu’entre les deux stratégies qui étaient proposées aux Corses durant la campagne électorale de juin dernier, les électeurs ont choisi. Il est probable que si une liste et un programme d’union leur avait été proposés, il les auraient approuvés. Tel n’a pas été le cas. Aussi, la majorité actuelle, monocolore, a-t-elle indiscutablement la charge d’appliquer son programme de gestion.
Pour notre part, nous avons la faiblesse de penser que la stratégie de fermeté à l’égard de Paris, celle que nous préconisions, était la bonne. En tant que démocrates, nous prenons acte du résultat des élections, sans croire cependant, un seul instant, que les choses s’amélioreront dans les mois à venir par l’effet de la bienveillance parisienne. Car si l’histoire nous enseigne quelque chose, c’est bien que les dirigeants français n’ont jamais rien cédé, dans aucun lieu placé sous leur tutelle, en l’absence d’un rapport de force.
Toutefois, ce dont nous sommes convaincus, c’est que le peuple corse n’acceptera pas longtemps l’état de léthargie dans lequel on le conduit actuellement.
Dans les années soixante-dix, le sommeil était profond et mortifère. Les électeurs votaient massivement pour les partis français qui travaillaient à notre disparition en tant que communauté originale. Ce fut à ce moment-là – l’anniversaire d’Aleria nous le rappelait récemment – que des éveilleurs de la conscience nationale ont provoqué le miracle du Riacquistu et, événement déterminant, la création du FLNC.
Quatre dizaines d’années de lutte ont permis de faire en sorte que nous soyons toujours là aujourd’hui, avec notre langue, notre culture, notre art d’être au monde. Cela constitue une victoire en soi, mais rien n’est jamais acquis.
En 2015, puis en 2017, nous avons cru que les choses iraient plus vite. Des erreurs, voire des fautes ont été commises. Il ne sert à rien de pointer du doigt les uns ou les autres. Les femmes et les hommes ont toutes et tous leur part de sincérité. Il convient de donner inlassablement à chacun l’occasion d’offrir le meilleur de lui-même. De se comporter résolument en éveilleur – et non en anesthésiste – de la conscience nationale.
Pour cela, préparons-nous dès à présent à écrire ensemble de nouvelles pages, radieuses, de notre histoire commune.
Jean-Guy Talamoni
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