Nouvelle-Calédonie : la rédemption de Manuel Valls ?
Depuis toujours, Manuel Valls fait partie des responsables parisiens qui ont été les plus détestés par les nationalistes corses, mais également par tous ceux qui, au sein des peuples maintenus sous tutelle parisienne, aspiraient à autre chose qu’à un destin français. On se souvient de son hostilité permanente à nos revendications lorsqu’il occupa les postes de ministre de l’intérieur, puis de Premier ministre de la France. Lui qui avait voulu devenir français, avant d’accéder aux plus hautes fonctions dans l’hexagone, ne semblait pas pouvoir comprendre que certains, disposant depuis leur naissance de cette nationalité, veuillent s’en défaire. On n’a pas oublié sa déclaration, il y a quelques années, au moment où nous accédions au pouvoir à la Collectivité territoriale : « Certains parlent d’une nation corse. Mais je ne sais pas trop ce que cela veut dire ». Cette attitude agressive contrastait alors avec celle de son ancien mentor en politique, Michel Rocard, lequel affichait ouvertement sa sympathie à notre égard.
On a également raillé le nomadisme politique de Manuel Valls qui, après une longue carrière en France n’avait pas hésité à se présenter aux élections de… Barcelone, ville dont il était originaire. Bien entendu, pour s’opposer aux indépendantistes catalans ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que le succès ne fut pas au rendez-vous, ce qui le conduisit à se réintroduire dans la vie politique française qu’il avait quelques temps auparavant annoncé vouloir abandonner. Et le voilà bientôt à nouveau ministre français, par la grâce d’Emmanuel Macron (qu’il avait pourtant traité de « méchant », n’ayant « pas de codes, pas de limites »1). Nous le retrouvons donc ministre, et ministre… des Outre-mer ! Beaucoup craignaient le pire. Pourtant, avec ce genre de parcours, le pire n’est jamais sûr (pas plus que le meilleur, hélas). Tout est possible, à tout moment.
J’en avais eu le vague sentiment lorsque nous étions en fonction et que nous l’avions reçu durant deux jours en Corse en sa qualité de Premier ministre. Il m’avait bien semblé que, par-delà la bienséance et la courtoisie protocolaire, son attitude de bouderie hostile à notre égard était curieusement intermittente. Comme ses coups de menton, il la réservait aux interviews destinées aux médias parisiens. En fait, cette attitude – du genre « Vous voyez : je suis ici mais je ne leur concèderai rien ! » – était réservée à l’électorat français réputé anti-corse. Dès que les caméras s’éclipsaient, il redevenait urbain et même plutôt affable. Ce comportement ne rappelait en rien celui de Jean-Pierre Chevènement pendant le « processus de Matignon », lequel, avec une belle constance, nous fusillait du regard, Paul Quastana et moi-même, durant toutes les réunions. Sa haine à lui était sincère. Alors que celle de Manuel Valls avait manifestement un caractère artificiel. C’était un rôle qu’il jouait. Ces quelques éléments de psychologie – un peu sommaire, sans doute – peuvent aider à comprendre le revirement spectaculaire de ces dernières semaines : le ministre des Outre-mer a formulé des propositions qui constituent un réel progrès dans les discussions sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Même si la solution politique semble encore loin, les indépendantistes ont salué l’avancée de la part de Paris. Notre ami Roch Wamytan résume ainsi leur sentiment : « Ce projet Valls matchait bien avec notre ambition »2. Les anti-indépendantistes se sont en revanche violemment opposés au plan proposé, estimant qu’il revient à ouvrir la voie à l’indépendance et à « remettre en cause l’intégrité nationale »3, à l’instar de Sonia Backès, une responsable loyaliste singulièrement virulente qu’Emmanuel Macron avait naguère jugé bon d’intégrer au gouvernement Borne, rompant ainsi avec la notion de neutralité de l’État qui constituait le cœur même du processus de paix rocardien. Celle-ci demande sans ambages que la conduite des discussions soit désormais confiée à « un autre ministre »4. De son côté, Manuel Valls assure garder la main sur le processus. À travers une opinion publiée le 1er juin 2025 dans La Tribune, il s’inscrit résolument dans l’esprit de la démarche initiée en 1988, fait litière des accusations de manipulations prétendument à l’origine des événements de l’an dernier et pose le problème de façon raisonnable :
« Il y a 36 ans, la République choisissait en Nouvelle-Calédonie, avec les accords de Matignon puis de Nouméa, la voie du dialogue, de la reconnaissance mutuelle et du refus de la violence. Ce choix n'était pas un miracle, mais un acte politique de courage et de responsabilité. Il reste aujourd'hui notre boussole.
Certains responsables politiques hexagonaux semblent l'avoir oublié. Leurs discours, enflammés et anachroniques, résonnent étrangement comme ceux de la droite des années 1980. À l'image de Charles Pasqua ou de Bernard Pons, ils estiment que “la défense de Bastia commence à Nouméa”. Ce type de rhétorique a déjà conduit au drame - celui d'Ouvéa. Ils refusent de poser un regard lucide sur l'histoire, et en particulier sur ce que signifie, en Nouvelle-Calédonie, un processus de décolonisation »5.
Une telle prise de position, de la part d’un membre du gouvernement français, est déjà en soi un événement notable. Venant de Manuel Valls, réputé peu ouvert sur ce genre de sujets – y compris en Catalogne ! –, elle semble plus étonnante encore. Pourtant, à y regarder de près, l’homme est davantage un « pragmatique » – pour dire les choses de façon neutre – qu’un idéologue. On reviendra sans doute, pour expliquer ce revirement, sur son rocardisme de jeunesse qui paraissait pourtant profondément enfoui sous le poids des ans et des « évolutions » conjoncturelles. Ne pouvant sonder les reins et les cœurs, nous ne saurions a priori écarter aucune hypothèse, pas même celle de la sincérité.
Après tout, chacun devrait avoir droit à sa rédemption.
Jean-Guy Talamoni
1 Public Sénat, publicsenat.fr, 14.V.2017.
2 Ouest-France, ouest-france.fr, 8.V.2025.
3 Le Monde, lemonde.fr, 27.V.2025.
4 Ouest-France, ouest-france.fr, 8.V.2025.
5 « Il est encore temps de tenir la promesse calédonienne », La Tribune Dimanche, latribune.fr, 1.V.2025.