[Livre] Jean-Guy Talamoni – Le sens d’un engagement (Frédéric BERTOCCHINI)

Préface :
De l’engagement des années difficiles au monde universitaire et à la présidence actuelle de l’Assemblea di Corsica, l’ami Jean-Guy Talamoni n’a jamais cessé d’être, selon ses propres mots dans le livre, un militant nationaliste ou, pourrions-nous dire, un « partisan national ». Il poursuit une trajectoire politique cohérente, construite dès le plus jeune âge à travers une démarche revendicative et culturelle fondée sur la manière d’être et de s’exprimer de son peuple. L’engagement identitaire est devenu politique dès les premières participations aux rencontres patriotiques des années 70, organisées pour débattre de l’avenir national de l’île. De là est née l’admiration pour des personnages historiques de la politique nationale corse comme Edmond Simeoni.
Ce n’est pas la première fois que Jean-Guy Talamoni nous offre une perspective sur la réalité politique et culturelle corse sous la forme d’un livre. Cet ouvrage que vous avez entre les mains est le portrait politique et humain d’un homme d’État pour lequel j’ai un profond respect politique et auquel je dois une reconnaissance pour la solidarité et l’intérêt qu’il a toujours témoigné au processus démocratique en Catalogne.
La Corse a été la première nation européenne à reconnaître la volonté de la majorité du Parlement de Catalogne pour que la Catalogne devienne un État sous forme de république et l’Assemblée de Corse a été l’un des parlements européens condamnant clairement la répression espagnole contre le mouvement indépendantiste catalan. Deux gestes que je n’oublierai jamais.
En fait, les parallèles entre le désir de liberté de la Catalogne et de la Corse sont évidents. Ils sont présents dans un livre où Jean-Guy Talamoni donne les clés pour expliquer les bases fondamentales des processus d’autodétermination existant en Europe, 8 basés sur des principes éthiques et démocratiques stricts, et par lesquels il estime indispensable que passe la souveraineté corse. Il explique que les défenseurs de l’autonomie de la Corse qui ont évolué vers des positions clairement indépendantistes ne feront plus le chemin du retour, situation qui rappelle celle de la Catalogne.
Cette détermination est la conséquence, en grande partie, de l’aveuglement politique de la France et de l’Espagne, deux États réticents à comprendre que la Corse et la Catalogne sont deux nations, et qui continuent à les traiter comme de simples entités administratives qu’il convient de surveiller étroitement. Une grave erreur qui confirme la volonté des gouvernements de Paris et de Madrid de se perpétuer en tant qu’États centralistes, une idée obsolète qui ne correspond pas à l’Europe du XXIe siècle. Comme c’était le cas en Catalogne il y a à peine dix ans, l’auteur admet que l’idée d’indépendance a encore une connotation de radicalisme pour de nombreux citoyens corses, mais que tôt ou tard elle apparaîtra comme un chemin « parfaitement raisonnable ».
En Catalogne, l’indépendantisme était aussi soutenu par une minorité jusqu’à ce qu’il soit justifié par des arguments politiques, sociaux, économiques, culturels, moraux et démocratiques. Il n’a depuis été combattu par les unionistes qu’à travers l’utilisation de l’insulte, de la menace et enfin de la répression. Quelle grave erreur. Car en Catalogne comme en Corse, le but véritable de la répression contre la revendication politique est de dissuader les générations futures de continuer à réclamer l’indépendance. Mais contrairement à cet objectif, les cycles électoraux de ces dernières années, en Catalogne et en Corse, nous montrent que toujours davantage de citoyens sont convaincus que la prospérité individuelle et collective implique de changer d’État. Et plus encore si cet État refuse de négocier. Il n’y a pas de compromis politique possible lorsque l’une des parties ne s’engage même pas à respecter les standards universellement reconnus dans le domaine des Droits de l’Homme.
La relation fraternelle entre la Corse et la Catalogne s’explique également par le fait que les deux pays ont des prisonniers politiques, un problème qui apparaît dans le livre. Jean-Guy Talamoni explique qu’il a très vite pris conscience que la lutte pour la liberté serait longue et douloureuse, qu’elle serait un chemin parsemé d’obstacles et, malheureusement, non exempt de violence, avec une longue liste de responsables politiques et militants corses emprisonnés. « Nous n’avons été ni naïfs ni romantiques », raconte-t-il, rappelant les années les plus dures. Il admet que dans ces moments-là, sans la lutte armée, le peuple corse, en tant que communauté, avec sa langue, sa culture et sa manière de participer au monde, aurait disparu. Ce sont des mots troublants pour ceux qui, de l’autre côté de la Méditerranée, aspirent à la liberté sans morts et sans violence. Heureusement aujourd’hui, l’indépendantisme corse, ayant renoncé aux armes depuis 2014, constitue un projet social et politique radicalement pacifique, en partie grâce aux parcours d’hommes politiques comme Jean-Guy, homme de grand consensus, partisan de l’unité politique des souverainistes et qui a réussi à convaincre une bonne partie de la population de la nécessité de défendre la langue et la culture, afin d’être et de s’exprimer en tant que pays libre ouvert sur le reste de l’Europe.
La solidarité fraternelle entre le peuple catalan et le peuple corse ne peut être comprise indépendamment d’une confiance commune en la construction d’un avenir de liberté et de paix dans notre Europe méditerranéenne. Nous sommes deux pays politiquement engagés à bâtir un nouvel ordre mondial plus juste et plus pacifique, plus interdépendant et plus ouvert au dialogue.
Le Président Talamoni partage la nécessité du dialogue et de la négociation en tant que vecteurs nécessaires pour atteindre les plus hauts niveaux de prospérité, de confiance et de sécurité. La résolution de tout conflit politique ne se fait que par des solutions politiques. La dureté avec laquelle les divers gouvernements français ont historiquement traité les revendications nationales corses a été la même que celle utilisée par l’Espagne pour s’opposer au référendum que nous, Catalans, avons organisé le 1er octobre 2017. L’existence de prisonniers politiques et d’exilés catalans nous confirme la disparition de tous les ressorts de la démocratie en Espagne, qui semblaient plus consolidés que la réalité ne l’a montré. Pour avoir installé des urnes et des bulletins de vote, nous avons été condamnés à des sanctions pénales comparables à celles qu’aurait entraîné un soulèvement armé, avec de lourdes peines de prison en l’absence de manifestation ou d’action violentes commises par les accusés. Les tribunaux belges, allemands, écossais et européens le savent, et je suis sûr que les pouvoirs politiques et judiciaires espagnols le savent aussi, mais ils préfèrent promouvoir le mensonge et institutionnaliser la honte face à l’unité patriotique de l’Espagne. La violence ne sert à rien. Nous sommes au XXIe siècle et le droit à l’autodétermination ne devrait pas être la conséquence d’un conflit violent.
En fait, l’Histoire nous enseigne qu’un nombre très important des conflits armés qui ont eu lieu depuis 10 la Seconde Guerre mondiale ont pour origine le non-respect du droit à l’autodétermination. Le Président Talamoni et moi-même avons parlé à plusieurs reprises de l’indécence qu’il y a à remplacer la politique par le Code pénal et à céder la place aux juges et à la police, au lieu de la laisser aux gouvernements et aux parlements, car ce comportement signifie la fin de la démocratie. Avec le Président Talamoni, nous partageons une idée de l’Europe comprise comme une alliance des peuples et des nations.
Interrogé dans le livre sur la possibilité qu’une Corse indépendante soit exclue de l’Union, il rappelle le cas de la Catalogne, au moment où l’unionisme a fait pression sur les électeurs au moyen de la menace de voir l’Europe nous exclure. Quelqu’un peut-il imaginer l’Union Européenne sans la Corse ou sans la Catalogne ? Impensable, conclut Talamoni. La menace pour l’Europe n’est pas l’expansion ou la cohabitation de nouvelles unités territoriales, mais la montée en puissance de mouvements populistes d’exclusion contraires aux principes fondateurs de l’Union elle-même. Le manque de leadership au sein de l’Union européenne a conduit le projet européen à une stagnation profonde qui l’éloigne de ses valeurs fondatrices — paix, démocratie, progrès économique et solidarité — et alimente l’euroscepticisme. En Europe et dans le monde, les relations entre les pays doivent être fondées sur le respect mutuel, la somme de la diversité et la défense des minorités, auxquelles il faut donner le pouvoir politique de décider de leur propre avenir et de définir leurs propres stratégies. Ce n’est qu’ainsi que nous serons plus forts pour faire face aux problèmes mondiaux qui nous interpellent tous.
La résolution des conflits politiques apporte stabilité et prospérité, ce qui signifie liberté et démocratie. Le livre parle du passé, du présent, mais aussi des temps à venir, dans lesquels le Président Talamoni exprime le désir d’une pleine liberté pour la Corse lorsque la majorité des citoyens le décidera. Telle est la grandeur des mouvements démocratiques dans nos pays, des processus qui vont de bas en haut et qui dépendent uniquement et exclusivement du peuple. La responsabilité de ceux qui sont à la tête des institutions politiques est d’accompagner et de rendre possible ce que veulent les citoyens. C’est cela la démocratie, en Corse, en Catalogne et partout sur la planète.
Carles Puigdemont i Casamajó 130e Président de la Generalitat de Catalunya (Traduction du catalan par Conxita Bosch)
Per cumprà lu : https://editionsclementine.com/produit/jean-guy-talamoni-le-sens-dun-engagement/?fbclid=IwAR0i_kQ7aEAhvn0fiqLdz8HL6PrHNBwETD2-YkLLErEwqctI2ebWGhQfzLA