En avril 2014, afin de lutter contre la flambée des prix de l’immobilier, l’Assemblée de Corse adoptait par un vote solennel un projet de statut de résident. Durant des lustres, un tel dispositif avait été défendu par les indépendantistes de Corsica Nazione, puis de Corsica Libera.
Au début des années 2010, sous la mandature de Paul Giacobbi et Dominique Bucchini, compte tenu du caractère déjà alarmant de la situation, des « Assises du foncier » étaient organisées.
Au cours de l’une des nombreuses réunions de travail à l’occasion desquelles la plupart des intervenants semblaient s’en remettre à un droit de l’urbanisme malheureusement inefficace en la matière, le premier élu à rejoindre Corsica Libera sur la proposition du statut de résident fut Jean-Baptiste Luccioni, maire de Pietrosella, commune fortement exposée à la menace de dépossession foncière et de spéculation immobilière.
Il expliqua simplement que l’application, même énergique, du droit de l’urbanisme, ne lui permettait pas en sa qualité de maire d’empêcher un acquéreur extérieur disposant de plusieurs millions d’euros d’acheter un bien sur le littoral de la commune, aggravant une situation déjà plus que préoccupante.
Partant de son expérience personnelle, il se rendait à l’évidence : seul un statut de résident pourrait enrayer la mécanique dévastatrice en cours de développement.
Les travaux des Assises se poursuivirent sans autre ralliement à la proposition de Corsica Libera.
Toutefois, lors de la conférence de presse de clôture des travaux, Paul Giacobbi, Président du Conseil exécutif, faisait sensation en se prononçant officiellement pour le statut de résident !
Il exposa posément l’évolution de sa réflexion sur le sujet, reconnaissant les doutes qui avaient été les siens devant une démarche pouvant sembler radicale. Pourtant expliqua-t-il, il avait fini par se rendre à l’évidence : seule une réforme de cette nature permettrait d’interrompre la dépossession en cours.
L’annonce fit l’effet d’une déflagration comparable à celles qui s’étaient révélées, depuis des décennies et au prix de multiples sacrifices, bien plus efficaces que le droit français de l’urbanisme, dont on sait ce qu’il n’a pas empêché de faire sur le littoral du sud de l’hexagone…
Peu après la déclaration de Paul Giacobbi, ne voulant pas être en reste, les autonomistes de Femu a Corsica rejoignaient également la position de Corsica Libera. Compte tenu des relations exécrables que les élus de Femu entretenaient avec Paul Giacobbi, accusé de les avoir éconduits au moment du fameux « conclave de Venacu », le projet de statut de résident fut élaboré à travers une discussion directe entre Corsica Libera et Paul Giacobbi (comme du reste le projet de coofficialité de la langue corse, la demande d’amnistie des militants nationalistes et quelques autres rapports essentiels).
Initialement, Corsica Libera plaidait pour dix ans de résidence, ce qui paraissait excessif à Paul Giacobbi. L’accord se fit finalement sur une durée de cinq ans. Demeurait le problème de la diaspora qui, par définition, ne pouvait se prévaloir de cette durée de résidence. Corsica Libera proposa alors d’avoir recours à un dispositif qui, pour être peu connu, n’en était pas moins présent en droit français : le « Centre des intérêts matériels et moraux » (CIMM), utilisé pour l’outre-mer et permettant notamment aux originaires travaillant en métropole de faire valoir leurs droits aux congés bonifiés. Les critères pris en compte pour prouver le lien au territoire, multiples, ne sont pas nécessairement cumulatifs : lieu de naissance, lieu de naissance des ascendants, lieu de sépulture des ascendants, lieu où l’on a effectué sa scolarité obligatoire, etc.
Après validation par le cabinet d’expertise juridique mandaté par le Conseil exécutif, la proposition de Corsica Libera fut jointe au projet global, lequel devait être adopté par une majorité de 29 voix sur les 51 élus que comptait l’Assemblée de Corse à l’époque.
Aujourd’hui, ce projet n’a pas pris une ride. Il demeure plus que jamais d’actualité au regard de l’accélération du phénomène de dépossession à l’œuvre. Voté il y a presque une décennie par les représentants élus de la Corse, il a vocation à demeurer la base incontournable des discussions avec Paris au sujet de la question foncière.
Jean-Guy Talamoni
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