Ferraghju #156 – Cap’Articulu : Otages

Depuis toujours la politique de l’Etat français s’est caractérisée en Corse par des mécanismes visant à imposer un traitement uniformisant le paysage humain, et niant les réalités culturelles, historiques, sociologiques de tout un peuple à qui l’on refuse obstinément, aveuglément même, de reconnaître une existence à part entière. Ces données suffiraient à elles seules à prouver le caractère colonial des rapports de sujétion auxquels on veut astreindre les Corses, même si dans certaines sphères – qui participent objectivement à une « déconstruction » délétère du discours national – le terme de colonialisme est réservé à d’autres: nier la réalité des faits, c’est désarmer le peuple, et renoncer aux seules luttes susceptibles de lui permettre enfin d’accomplir son destin national.
Mais si la situation actuelle n’est toujours pas débloquée, tournant en permanence le dos à une réelle solution politique pourtant à portée de main, on le doit sans doute à la pression constante que les Corses subissent et qui fait d’eux de perpétuels otages.
Les premiers de ces otages sont les patriotes, régulièrement détenus dans des conditions qui les exposent au pire, chaque moisson répressive permettant de renouveler un contingent qui correspond au courant d’opinion que l’on s’efforce de museler : Corsica Libera vient à nouveau d’en faire tout récemment les frais, l’Etat français ciblant systématiquement ceux qui, eux, ne renoncent pas à la nation. Ce ne sont pas les libérations ou demi libérations de militants qui auraient dû bénéficier de ces mesures depuis longtemps qui infirmeront cela, bien au contraire.
Mais les Corses sont également otages d’intérêts « économiques » étrangers, qui maintiennent notre pays dans un Etat de dépendance mortifère, otages de grilles de lecture en totale inadéquation avec ce que nous sommes, otages d’une sur-administration hors sol et de ses décisions ubuesques, otages d’une fiscalité inadaptée qui nous dépossède, inhibe tout élan de développement réel au service de notre peuple, et consacre le règne de la spéculation sous toutes ses formes au détriment de la création de vraies richesses à partager.
Ils sont enfin otages de tous les discours qui, empruntant aux dogmes importés, ou aux modes du moment, les détournent de la seule lutte qui vaille, celle qui, de tout temps, et sous tous les cieux, a permis aux peuples de se libérer et d’assurer leur avenir, celle qui, au delà de tous les déterminismes hypothétiques, donne à l’Histoire tout son sens : la lutte pour la liberté et l’indépendance nationale.
Plus immédiatement et de manière très concrète, reste à réaffirmer une stratégie de lutte à opposer à cette agression multiforme, tout en favorisant les orientations les plus vertueuses – que nous avons d’ailleurs définies dans la plupart des domaines – chaque fois que possible: les signaux de soumission, le recul des idées, l’édulcoration des revendications fondamentales, sont à bannir. Pas seulement pour des questions évidentes d’éthique, mais aussi par souci d’efficacité, comme cela a été démontré à maintes reprises.
Le peuple corse ne se laissera pas endormir et « accompagner » jusqu’au déclin : sa jeunesse en porte déjà le témoignage. Et demain les forces vives, authentiquement patriotiques, ne pourront que converger pour faire face à toutes les prises d’otages auxquelles le colonialisme français continuera de nous confronter.