Christian Tein, Président du FLNKS, a choisi les Ghjurnate Internaziunale pour donner sa première conférence de presse depuis la signature des accords de Bougival. C’est à partir de la Corse qu’il a donné sa position sur ces accords, à l’adresse de l’opinion corse, calédonienne et internationale.
À cette occasion, il a accordé une interview au Ribombu.
Vous avez choisi la Corse, et les Ghjurnate Internaziunale, pour votre première prise de parole depuis la signature des accords de Bougival. Cela a-t-il une signification particulière ?
Oui, venir ici en Corse, rencontrer des gens qui sont dans la même lutte que nous pour l’histoire, pour notre souveraineté et notre indépendance.
Je ne peux malheureusement pas rentrer en Calédonie à cause du contrôle judiciaire, c’était l’occasion pour venir en Corse…
Cela illustre l’importance des relations internationales ?
Oui, car on le voit, depuis 1986, nous sommes notamment inscrits sur la liste des territoires à décoloniser et nous voulons continuer à nous battre dans ces espaces, au sein desquels d’autres pays nous aident pour pouvoir concourir aux résultats que l’on recherche.
Pour en venir plus concrètement à la situation actuelle, est-ce que vous pouvez nous expliquer comment on en est arrivé là?
On fera une synthèse très courte, mais il faudrait prendre du temps pour expliquer comment ça s’est réellement passé pour en arriver là. Le chemin parcouru depuis les accords de Matignon et de Nouméa, qui ont tracé les cadres. Surtout l’accord de Nouméa qui était dans une logique bien claire : amener notre pays vers la pleine souveraineté.
Le problème c’est qu’on a bien senti que l’État voulait aller très vite, boucler ce dossier et puis passer à autre chose. Nous avons dit « attention de ne pas forcer les choses, parce que ce sont des engagements qui viennent de très très loin, de cette poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou au moment de la paix. Ces engagements sont posés sur des bases solides qu’il ne faut pas fragiliser ».
Un de ces piliers, c’est le corps électoral. En Calédonie, ont dit toujours « c’est le corps électoral de la paix ». Au-delà de l’aspect majoritaire ou autre, la question est de savoir comment on fait en sorte de créer un pays, de créer un peuple avec ces accords-là.
Malheureusement quand on vient bouger une virgule, un point d’interrogation ou un point d’exclamation de cet accord, on en bouge tous les fondamentaux.
C’est ce qui a provoqué la situation de l’année dernière ?
C’est ce qui a malheureusement amené aux révoltes, aux évènements des 12 et 13 mai 2024. Je suis impliqué dans la CCAT -la cellule de coordination des actions de terrain-, on a fait d’énormes mobilisations pacifiques, on a rassemblé des milliers de gens pour alerter l’opinion régionale, nationale et internationale sur les risques que cela faisait encourir de bousculer les règles établies. Malheureusement Paris a fait la sourde oreille mais nos mobilisations jusqu’au 12 ont toujours été pacifiques et nous restons dans cet état d’esprit.
Ensuite, on a vu ce qui s’est passé dans les quartiers de Montravel, de Pierre Lenquette, là où les jeunes de chez nous sont en difficulté dans la vie sociale de tous les jours, et n’ont pas d’emploi -je l’ai dit, l’accord de Nouméa a été arrêté aux portes de ces jeunes-. Il y a eu cette révolte et cela s’est étendu de quartier en quartier jusqu’à l’ensemble du pays.
Et aujourd’hui, la situation est dégradée…
Comme je l’ai dit, on a toujours été pacifiques, sauf que la situation est celle-là. L’économie est par terre, de 22 000 à 25 000 personnes sont sur le carreau. Moi personnellement, je n’ai pas fait mon engagement, mon combat politique pour qu’on en arrive à cette situation et surtout qu’on pénalise nos « petits gens » parce que ce sont nos « petits gens » qui sont dans ces emplois de demi-salaires, de salaires moyens. C’est un peu le sens de ma démarche, de toujours faire attention aux gens qui sont là, qui sont inscrits dans la démarche de construction de leur vie, parce que derrière cela, quand quelqu’un perd un salaire, c’est tout qui tombe derrière : c’est le loyer de la maison, c’est l’organisation de vie de la famille, c’est tout un pan de leur vie qui reste suspendu.
Il faut faire attention à la manière dont on avance. Nous on s’est battus pour construire un pays avec une économie forte, solidifiée, pour que les gens puissent bien y vivre, et pour démontrer que le projet d’indépendance est viable, à partir de son tissu économique, avec ses populations qui arrivent à joindre les deux bouts.
Concernant le projet de Bougival, le FLNKS tiendra son congrès dans quelques jours pour donner sa position…
Oui, il y aura un congrès très prochainement où les partis indépendantistes qui sont à l’intérieur du Front vont se positionner sur le projet Bougival. Je fais partie du mouvement l’Union calédonienne, où une position a été prise le week-end dernier : celle de rejeter en bloc le projet Bougival. Le but pour nous aujourd’hui, c’est de dire qu’il faut que l’État revoie sa copie et qu’il revienne à de bonnes intentions pour faire avancer ce pays dans le calme, la sérénité, pour une gouvernance qui corresponde mieux aux attentes des Calédoniens.
Aujourd’hui, dans le dispositif de cet accord, on voit que la notion de peuple Kanak a disparu, qu’elle se retrouve en bas de l’échelle. Nous on est quand même à 19 000 km de la métropole, tu ne peux pas effacer d’un revers comme ça l’histoire d’un peuple, d’une civilisation. Pour qu’il y ait un accord de paix, il faut qu’il y ait de la stabilité, pour qu’il y ait de la stabilité, il faut que tout le monde soit gagnant dans cet accord, sinon forcément ça ne pourra pas fonctionner.
Il faut simplement regarder les choses d’État à État, avec l’État français, avec l’État de Kanaky, comment on peut conjuguer ensemble sur d’autres voies que celle d’une conjugaison forcée qu’est Bougival.
Pour imaginer un futur différent…
Plus que jamais il faudra imaginer un futur différent parce que sinon on ne fera que mettre des pansements sur des jambes de bois.
Merci beaucoup, est-ce que vous voulez rajouter quelque chose ?
Je voulais faire passer un message pour le peuple corse, l’encourager, lui dire que je suis très content d’être venu ici. Vous avez un beau pays, battez-vous pour ce beau pays. Il est magnifiquement beau, soyez fiers de votre pays.
Propos recueillis par Serena Talamoni
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